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PANTHÉISME

Spinoza

Ces idées semblent annoncer l'étape suivante du panthéisme, l'étape qui en est aussi le stade le plus haut et la plus haute expression : la philosophie de Spinoza. Mais Bruno n'est pas Spinoza et celui-ci apportera à l'ontologie moniste et immanentiste un développement parfaitement original et décisif, une inspiration qui sera plus présente encore chez Schelling ou Hegel que ne pouvait l'être l'inspiration brunienne.

C'est en effet le monisme radical de l'être qui est retenu par la philosophie française du xviiie siècle et la métaphysique allemande du xixe comme le constituant essentiel du spinozisme. Il y aurait lieu, certes, d'élargir la compréhension du spinozisme, mais il est exact que son action et sa vertu, pourrait-on dire, sont principalement dues à cette doctrine de la Substance.

L'autosuffisance du monde

Une telle doctrine a plus de force que celle de Bruno, en raison d'une meilleure organisation logique des concepts et en raison d'une pureté rationnelle plus parfaite. Spinoza, par exemple, n'aurait jamais accordé, comme Bruno, que la magie pût avoir une vérité, ou qu'il soit possible de parler d'une surnature.

C'est en toute rigueur que le Dieu de Spinoza, comme Substance, doit être identifié à la Nature. En effet, le lien qui existe entre Dieu et le monde sensible n'est pas le moins du monde un lien d'émanation, comme chez Plotin, ou de réalisation d'une potentialité, l'acte et la puissance fussent-ils contemporains. Pour Spinoza, la puissance de Dieu, c'est-à-dire de la Substance, c'est-à-dire de la Nature (cf. par exemple Éthique, IV, préface), n'est rien d'autre que son existence même. L' infini est l'être en acte, et celui-ci ne découle d'aucune potentialité ni d'aucun acte de création.

En Dieu, il n'est donc pas possible de parler d'Âme ni d'Intellect, à la façon de Bruno ou de Plotin. La vie ou la raison concernent les modalités finies de la Pensée et non pas la substance infinie. Celle-ci n'est rien d'autre, en effet, que ce qui se conçoit par soi et en soi, c'est-à-dire sans aucun recours à aucun autre concept ni à aucun autre être. Cela signifie en clair que la Substance désigne l'autonomie absolue de la totalité du réel, cette totalité trouvant en soi seule, et d'une façon éternelle, l'origine immanente de son être et de son actualité.

Sans cause, la Substance, c'est-à-dire finalement ce qui est essentiel dans la Nature, est également sans fin. La Substance ne saurait tendre à la perfection comme chez Bruno (où, cependant, il est vrai, l'univers ne se manque pas à lui-même) ni s'identifier au Beau, comme chez Plotin, et susciter dès lors l'admiration comme chez les stoïciens. La Substance infinie désigne avec beaucoup plus de dépouillement rationnel chez Spinoza l'autosuffisance du monde, son caractère premier parce que éternel, son autonomie logique et existentielle, son homogénéité ontologique enfin, puisque tout ce qui est et tout ce qui est pensable est et se pense par la même substance, infinie, universelle, une et identique.

Une hiérarchie logique des concepts

La Substance n'est pas produite et ne produit pas au sens strict. Certes, Dieu est cause immanente du monde et des êtres, mais non pas au sens où cette cause produirait quelque chose hors de soi, par émanation ou rayonnement, ou actualisation. Le rapport de la Substance aux « choses singulières », c'est-à-dire au monde sensible, n'est pas le rapport extrinsèque et transcendant d'un être qui produirait (fût-ce en son sein) des êtres distincts de lui, mais le rapport de l'être à lui-même, lorsqu'on change le point de vue de la connaissance et du langage qui détermine l'être et les êtres.

C'est seulement ainsi qu'on peut[...]

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