PANTHÉISME
Le panthéisme après Spinoza
Il reste paradoxal, cependant, de dire que Dieu se pense. La Substance une et infiniment infinie est sans détermination dans le système spinoziste de la Nature. Il semble donc bien que Dieu ne soit plus en réalité qu'un mot ou un système axiomatique de la Nature : en fait, le spinozisme est un athéisme. On pourrait l'établir. L'orthodoxie, finalement, n'a pas tort de voir dans le panthéisme l'un des masques de l'athéisme. C'est vrai en tout cas de Spinoza.
Toutefois, si l'athéisme est la conséquence extrême, nécessairement impliquée par un panthéisme rigoureusement immanent, on comprend que les successeurs de Spinoza, moins révolutionnaires que lui, mais subjugués par son intuition moniste, aient tenté ce qu'on pourrait appeler une révision du panthéisme. On peut songer notamment à dom Deschamps (bénédictin français du xviiie siècle, qui établit la continuité entre Spinoza et Hegel), à Schelling et enfin à Hegel lui-même.
Dom Deschamps, opposant « tout » et « le tout », croit pouvoir faire la critique du spinozisme en introduisant la relation du tout à ses parties, et par conséquent l'affirmation qui nie et la négation qui affirme. Il précède en cela Hegel, qui, par le mouvement du négatif au cœur de la Nature totale, fait surgir l' Esprit, et, au terme du devenir de cet Esprit, au terme de l'histoire de la conscience, instaure la Substance. Comme Concept, celle-ci réside en elle-même, ayant dépassé toute contradiction, et elle intériorise la totalité de l'être et de l'histoire. Cet Esprit final et total est l'Humanité même ayant achevé sa propre histoire et ayant réalisé sa propre permanence dans l'Esprit Objectif, c'est-à-dire l'État, avec famille et propriété. Le panlogisme de Hegel, forme ultime d'un panthéisme, n'en est qu'une forme dégénérée, puisque l'Esprit, par le peuple, la culture et l'État, rejoint les déterminations et les exigences traditionnelles de la divinité. C'est à grand-peine qu'on a voulu faire de l'hégélianisme un athéisme : on oubliait que Hegel faisait servir son monisme spiritualiste à la conservation de la société établie, tandis que Spinoza mettait son monisme radical au service d'une transformation révolutionnaire de la société et de la pensée.
Il reste Schelling. Chez lui aussi on doit constater que l'intuition panthéiste est en régression. La philosophie de la Nature est une histoire métaphysique des âges du monde et une histoire du rôle actif et créateur des Puissances. Du sein d'une Nature aveugle, et selon une tradition issue de Boehme (Mysterium magnum, 1620), un désir d'être surgit, qui, par l'œuvre d'une Puissance, établit une première scission au sein de la Nature. Les scissions et les créations immanentes se poursuivent par diverses Puissances, jusqu'à rendre compte du monde sensible.
S'il s'intéressa à l'unité de la Nature (en constituant une Naturphilosophie), Schelling n'en aboutit cependant pas moins à une sorte de doctrine théosophique (cf. Philosophie und Religion, 1804), par laquelle, finalement, il restaure la religion (fût-elle ésotérique) dans ses prérogatives traditionnelles et s'en remet aux Saintes Écritures pour résoudre les plus difficiles problèmes de la métaphysique (origine du mal et de la matière). Finalement, et d'une façon fort explicite (Philosophische Untersuchungen über das Wesen der menschlichen Freiheit und die damit zusammenhängenden Gegenstände, 1809,[Recherches sur la nature de la liberté humaine]), Schelling s'oppose au « panthéisme » de Spinoza, qu'il appelle un réalisme, et se réclame de l'idéalisme : pour lui, et c'est le dernier stade de sa philosophie, « c'est le vouloir qui est l'être originel », et il faut éclairer ce[...]
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Écrit par
- Robert MISRAHI : professeur à l'université de Paris-I
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