BORTOLUZZI PAOLO (1938-1993)
Décédé à Bruxelles des suites d'une congestion cérébrale dans la nuit du 15 au 16 octobre, le danseur italien Paolo Bortoluzzi avait la faculté rare de pouvoir jouer sur “l'immense octave de la création”, pour rappeler la formule de Paul Claudel. L'un des plus brillants artistes-interprètes de sa génération, virtuose certes, mais pétri d'élégance naturelle, il partagea avec Jorge Donn, disparu le 30 novembre 1992, les triomphes du Ballet du xxe siècle de Maurice Béjart, tout en assurant une carrière d'artiste invité, notamment en Allemagne, en Italie et aux États-Unis.
Né à Gênes le 17 mai 1938, le jeune Paolo Bortoluzzi travaille auprès de pédagogues réputés : Ugo dell'Ara, Nora Kiss, Victor Gsovsky, Assaf Messerer. En 1957, il fait ses débuts dans sa ville natale, dans les jardins de Nervi où se déroule chaque année un important festival de ballet. Précisément, Maurice Béjart y présente Haut-Voltage et Bortoluzzi découvre un aspect de la danse qu'il ne soupçonnait peut-être pas. Son choix est fait : il travaillera auprès du chorégraphe français. Mais il lui faudra attendre l'année 1960. Entre-temps, il remporte un prix au concours Viotti de Vercelli, avec une partenaire qui n'égalera jamais sa renommée.
Après le succès du Sacre du printemps (1959), Maurice Béjart s'installe à Bruxelles où Maurice Huisman, directeur du Théâtre royal de la monnaie, permet la naissance du Ballet du xxe siècle. Le jeune Paolo vient en renforcer l'effectif. Nous sommes en 1960, et douze années de triomphe l'attendent. Dès 1961, dans Boléro, il retrouve Duska Sifnios qui était sa partenaire à Nervi, lors de ses débuts. Tandis que l'Argentin Jorge Donn — homme du Sud américain — incarne l'élan dionysiaque, l'Italien Paolo Bortoluzzi — homme du sud de l'Europe — figure au contraire la grandeur apollinienne. L'un et l'autre personnifient ainsi les deux faces d'un Janus danseur.
En 1965, Maurice Béjart crée le Cygne et, défiant l'usage, il confie à trois interprètes masculins le soin d'incarner l'oiseau immortalisé depuis le xixe siècle par des ballerines. On découvre un Bortoluzzi à l'androgynie troublante, aux ports de bras chargés d'émotion, au legato infiniment musical. Quel contraste après le flamboyant, le vibrant scherzo de la Neuvième Symphonie de Beethoven, créée l'année précédente ! Dès lors, les succès s'enchaînent. Dans Roméo et Juliette (1966), Paolo forme avec Laura Proença un couple inoubliable. Dans Messe pour le temps présent (1967), il est la danse incarnée. Ni fleurs ni couronnes (1968) constitue une sorte d'anti-Belle au bois dormant, signée d'un Béjart plus respectueux qu'il n'y paraît de la tradition et de Marius Petipa ; elle offre l'occasion à Bortoluzzi de s'illustrer dans le Mariage d'Aurore. Sur la musique pour violoncelle de Xenakis, Nomos Alpha (1969) est un solo, “le” solo de Bortoluzzi, avec cette inoubliable image finale du danseur écrasé par le lustre qui le retenait déjà prisonnier, sa variation durant, de sa douche lumineuse. L'année 1970 est heureuse : il y a L'Oiseau de feu, surtout Bhakti où Bortoluzzi incarne le dieu Rāma — collant blanc, gestes immaculés. L'année 1971 est un cru supérieur : Actus tragicus, Offrande chorégraphique, Nijinski, clown de Dieu — où, évoquant le Spectre de la rose, Paolo est l'Air, c'est-à-dire l'élévation, le défi à la pesanteur, la danse ailée —, enfin ce Chant du compagnon errant où il donne, sans complexe aucun, la réplique au monstre sacré qu'est Rudolph Noureev.
Parallèlement à sa carrière au Ballet du xxe siècle, Bortoluzzi est invité à travers l'Europe. Il débute en 1964 à la Scala de Milan dans Les Demoiselles de la nuit[...]
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Écrit par
- Jean-Claude DIÉNIS : journaliste dans le domaine de la danse
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