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LAGERKVIST PÄR (1891-1974)

Vers l'apaisement

Pourtant, un long voyage en Grèce et en Palestine (1934) va insuffler à Lagerkvist une nouvelle raison de lutter : l'Acropole témoigne de l'impérissable valeur de l'humanisme, et c'est pour le défendre qu'il écrit Den knutna näven (Le Poing noué, 1934) : « Je veux lutter contre tout ce qui dénature et limite la vie humaine. » Il fustige donc le fascisme dans les essais satiriques de I den tiden (En ce temps-là, 1935), l'hitlérisme dans les drames Mannen utan själ (L'Homme sans âme, 1936) et Seger i mörkrer (Victoire dans les ténèbres, 1939). C'est aussi à ce moment qu'il met définitivement au point son inimitable écriture, faite avant tout de symboles aux mystérieux pouvoirs de suggestion.

Son plus grand succès, Le Nain (Dvärgen, 1944), revient, mais sur le mode ironique et dans un style détaché, sur l'éternelle méchanceté humaine que dépeignait déjà Le Bourreau. Mais, ici, l'obscurité n'est plus aussi complaisante ni totale, une lueur s'y laisse entrevoir. Il existe autre chose que ce cachot où le nain de la Cour d'un prince italien de la Renaissance a été jeté. Patiemment et comme à son corps défendant, Pär Lagerkvist s'approche d'une solution confusément entrevue depuis longtemps, à laquelle il ne consentira jamais ouvertement, mais que pressent son nain, dans l'abjection de sa vilenie. Cette solution, ce serait Dieu, le Dieu de justice et de rigueur de l'Ancien Testament, le Dieu d'amour et de pardon des Évangiles. Le motif est orchestré en majeur dès Barabbas (1950) qui inaugure la phase biblique de l'œuvre et qui vaudra le prix Nobel à l'auteur en 1951. Lorsque le bandit Barabbas « remet son âme » à l'obscurité, « comme si c'était à elle qu'il parlait », il est tout proche de l'ineffable qui, seul, nous comblerait. Les poèmes d'Aftonland (Pays du soir, 1953), dans la douceur et la clarté d'une langue choisie, sont tout proches de l'inspiration mystique par leur sereine méditation sur le néant inadmissible. Et c'est aussi dans une perspective mystique de lent cheminement qui ne consent point à la phase illuminative qu'il faut lire la série des récits bibliques, La Sibylle (Sibyllan, 1956), La Mort d'Ahasverus (Ahasverus död, 1960), Pèlerin sur la mer (Pilgrim på havet, 1962), La Terre sainte (Det heliga landet, 1964) et Mariamne (1967). L'urgente nécessité de la présence de Dieu s'y impose à travers ces récits d'une parfaite simplicité où l'art des images polysémiques atteint des extrêmes, où l'ambiguïté des thèmes et des personnages ne nous laisse pas un instant en repos, dans une quête, grave et recueillie, de la paix de l'âme. Cette œuvre est d'une symbolique transparence : la longue recherche qu'elle a menée ne saurait se résoudre en conclusions assurées. Mieux vaut en suivre le long travail de décantation pour entrevoir, sur cette mer démente qui nous malmène, une terre sainte dont nous sommes tous pèlerins et dont l'incompréhensible lumière nous fascine invinciblement.

— Régis BOYER

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Écrit par

  • : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Média

Pär Lagerkvist - crédits : Bettmann/  Getty Images

Pär Lagerkvist

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    • 19 médias
    À ce titre, l'auteur le plus représentatif restera Pär Lagerkvist (1891-1974) qui, d'Angoisse (Ångest, 1916) à Mariamne (1967) en passant par Barabbas (1950) et de nombreux ouvrages romanesques ou dramatiques, ne cesse de réinstruire en termes passionnément ambigus le procès d'une époque...