PARADES ET PARURES. L'INVENTION DU CORPS DE MODE À LA FIN DU MOYEN ÂGE (O. Blanc)
L'occasion est rare de voir des historiens faire de la mode un objet d'études. Il convenait donc de se réjouir de la publication du livre d'Odile Blanc Parades et parures (Gallimard, Paris 1997). Et ce d'autant plus qu'il était accueilli dans une collection, Le Temps des images, à la maquette élégante, qui a gagné son pari de hisser le document iconographique au rang de matière première de la réflexion historique. L'ouvrage d'Odile Blanc, historienne attachée au musée des Tissus de Lyon, tient la promesse de ce parrainage éditorial : par la richesse des enluminures qu'il déploie – provenant pour l'essentiel de manuscrits des librairies princières de la fin du Moyen Âge –, mais aussi par le mélange d'audace et de prudence critiques dont il fait preuve devant ces documents que le lecteur naïf regarde d'abord comme un album d'images enchanteresses avant d'y découvrir (l'un ne va-t-il pas sans l'autre ?) un extraordinaire théâtre d'opérations de l'imaginaire d'une société.
Cet attrait est redoublé par l'ambition du livre, qui tient dans son sous-titre : L'invention du corps de mode à la fin du Moyen Âge. La période, il est vrai, y invite. Dans l'histoire de ce que l'on appellera, faute de mieux, le « paraître occidental », les décennies en amont et en aval de l'an 1400 se distinguent en effet par une intense effervescence vestimentaire, à la mesure des mutations d'un monde aristocratique qui passe alors d'une société de guerre à une société de cour. « Babel des costumes », disait Michelet à propos de la diversité des tenues, de la variété des associations, de la richesse des matières, de la brillance des coloris qui se manifestent alors.
Au cœur de cette « explosion vestimentaire », le fait majeur c'est la métamorphose de la tenue masculine sous l'influence de la panoplie de l'homme d'armes et, au premier chef, du pourpoint. Le pourpoint était un vêtement matelassé et surpiqué (d'où son nom, issu du bas latin perpungere, « percer en piquant ») qui couvrait le buste et les hanches sous l'armure. C'est ce vêtement militaire ajusté qui, à partir de 1330 environ, va susciter l'engouement des jeunes nobles et s'imposer comme la parure « civile » du temps, un temps où la prouesse guerrière est encore une valeur aristocratique (on est au début du conflit entre la France et l'Angleterre). Le succès de ce vêtement court, coupé et cousu près du corps, démodera les tenues longues et amples, adoptées sans doute sous l'influence sarrasine, qui étaient de mise jusque-là. Il sera surtout fatal au système de la « robe », ensemble de « garnemens », de pièces différentes (dessous une cotte, dessus un surcot, et par-dessus encore une chape, un mantel, ou une cloche), qu'on portait superposés et qui constituaient le vade-mecum vestimentaire du prince et du seigneur. Le pourpoint, certes, finira par perdre de son prestige : aux alentours de 1400, désormais répandu dans les couches inférieures de la société, il a rétrogradé au rang de simple vêtement de dessous au profit de pièces plus longues et amples. Éprouvée par la guerre et le chaos économique, explique Odile Blanc, la société aristocratique se replie sur « l'univers clos de la cour ». Là, s'élabore un nouveau modèle, celui du courtisan sensible non plus au haut fait d'armes mais à la « présentation de soi », manifestation de son appartenance à l'élite curiale.
Reste que la promotion du pourpoint ajusté inaugure une nouvelle ère vestimentaire. D'abord, elle signe l'acte de naissance du costume masculin moderne. Ensuite, elle consacre la victoire des vêtements points (cousus) sur les vêtements drapés. Enfin, en le rapprochant du corps, elle inscrit dans le[...]
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Écrit par
- Farid CHENOUNE : agrégé de lettres modernes, journaliste
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