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PARADISO, José Lezama Lima Fiche de lecture

Brasser les mythologies du monde

Le protagoniste du livre est un jeune homme asthmatique, José Cemi – on a beaucoup glosé sur ce patronyme qui renvoie peut-être aux objets de culte des premiers Antillais –, qui passe de l'enfance à l'adolescence universitaire, et se lie d'amitié avec deux jeunes gens aux noms évocateurs de la Grèce antique, Fronesis et Focion, ce qui donne lieu à de longues discussions sur la philosophie, la littérature et l'homosexualité, prétexte à un feu d'artifice verbal qui fait souvent appel à l'humour, à la caricature et à la parodie. L'initiation de José Cemi passe par trois étapes : un entretien prolongé avec sa mère, qui voit en lui un futur écrivain ; l'apprentissage de la sagesse avec Fronesis (Focion, le déviant, est foudroyé) ; enfin, la rencontre impromptue avec Oppiano Licario, qui représente « la connaissance infinie » et qui ouvre à Cemi le chemin « de l'image, de la poésie et du royaume des archétypes ».

Pour Lezama Lima, en effet, l'image et la métaphore ne sont pas seulement les composantes mêmes de la diction poétique. Elles sont la clé pour accéder à l'Histoire et à la nature, pour triompher de la mort et connaître la résurrection. L'image est le souffle vital du langage et la réalité s'incarne dans les mots, comme le découvre José Cemi au terme de son initiation et de sa rencontre avec Oppiano Licario : « L'exercice de la poésie, la recherche verbale de la finalité inconnue, développait chez lui une étrange attirance pour les mots qui acquièrent un relief animiste quand ils se regroupent, assis comme des sibylles dans une assemblée d'esprits. »

La trajectoire du protagoniste est significative. Paradiso s'ouvre sur l'image d'un enfant asthmatique et couvert de cloques, et s'achève sur l'utopie de la poésie totale comme appropriation du monde, comme accès au « paradis » à travers la création verbale. Une des grandes réussites du livre réside précisément dans la fluidité et le chatoiement du récit, peuplé d'innombrables métaphores renvoyant à des sensations tant visuelles que tactiles, olfactives, gustatives ou auditives. Lecteur universel, le Cubain s'empare de l'histoire de l'humanité, des cultures européenne et asiatique, des produits mythiques de son île (le tabac et la canne à sucre), des mythologies et des religions du monde, pour brasser le tout dans un discours proliférant destiné à masquer l'horreur du vide qui envahit parfois l'esprit humain.

— Claude FELL

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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