PARALLÈLEMENT, Paul Verlaine Fiche de lecture
« Que Dieu vous garde des expansifs ! »
Il n'est d'ailleurs pas interdit de lire Parallèlement comme une sorte de bilan, quoique Verlaine ne l'ait à coup sûr pas envisagé ainsi. On trouve ici des échos très nets d'œuvres antérieures : Poèmes saturniens (« Poème saturnien »), Fêtes galantes (« La Dernière Fête galante »), Jadis et Naguère (« Allégorie », « Réversibilités »). De même, le souvenir des moments passés avec Rimbaud (« Explication », « Autre explication », « Laeti et errabundi ») ou Mathilde (« À Madame, Guitare ») contribue à donner au recueil la tonalité nostalgique, voire crépusculaire, d'une autobiographie, comme en témoignent les deux poèmes liminaires, « Dédicace » et « Allégorie », ou encore le double autoportrait que forment « L'Impudent » et « L'Impénitent ».
Il reste que le thème dominant est bien l'érotisme, qui inspire, à des degrés divers, près de la moitié des pièces de Parallèlement. Dans ce « livre orgiaque », la chair est évoquée tantôt avec une certaine retenue, recouverte du voile moins pudique que puissamment suggestif de la métaphore : « Les grands rideaux du grand lit d'Adeline/Ont entendu, Claire, ta voix rieuse,/Ta douce voix argentine et câline/Qu'une autre voix enlace, furieuse. » (« Per amica silenti ») ; tantôt de manière plus crue : « Cuisses belles, seins redressants,/Le dos, les reins, le ventre, fête/Pour les yeux et les mains en quête/Et pour la bouche et tous les sens ? » (« À la princesse Roukhine ») ; voire triviale : « Tes seins en avant,/ Tes mollets farauds,/Ton buste tentant,/– Gai, comme impudent,/Ton cul ferme et gros ») (« À mademoiselle »). Au reste, si la culpabilité ne transparaît guère dans ces vers, où s'exprime plutôt le vertige de l'abandon au plaisir, la sexualité n'en est pas moins, significativement, envisagée sous les formes d'un interdit à transgresser, notamment à travers la prostitution (« Filles ») et l'homosexualité (« Les Amies »). Mais là encore, Verlaine cultive une certaine ambiguïté, en évoquant plutôt cette dernière dans son versant féminin. Le titre, en tout cas, s'éclaire différemment à cette lumière, et c'est ainsi aussi, sans doute, qu'il faut l'entendre : la chair, parallèlement à l'esprit, mais non moins les amours « déviantes » parallèlement aux amours « droites ».
Le recueil ne s'épuise pourtant pas dans cette veine, à laquelle, par exemple, les poèmes de la section « Révérence parler » apportent un contrepoint plus austère quoique sans pathos : « Et de ce que ces vers maladifs/Furent faits en prison, pour tout dire,/On ne va pas crier au martyre./Que Dieu vous garde des expansifs ! ». Et c'est peut-être, au-delà de la transgression un peu « datée », dans ce mélange de mélancolie et d'autodérision que réside le charme principal du recueil. À côté du Verlaine familier, se révèle ici un autre, sinon totalement nouveau, du moins plus méconnu, gouailleur et grinçant, pasticheur (de Baudelaire par exemple : « Laeti et errabundi ») et autopasticheur (« À la manière de Paul Verlaine »), manifestement soucieux de récuser le rôle de maître que les jeunes poètes voudraient lui faire tenir.
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Écrit par
- Guy BELZANE : professeur agrégé de lettres
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