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PARANOÏA (histoire du concept)

Le délire paranoïaque et ses formes

Sur le plan clinique (cf. supra), le mécanisme du délire est essentiellement interprétatif. L'interprétation morbide amène le malade à donner une signification allant dans le sens de son délire à des événements banals, au comportement et aux propos d'autrui, pourtant dénués d'intention hostile et normalement perçus. Les intuitions sont rares ; quant aux hallucinations, elles restent généralement au second plan, mais sont plus fréquentes que ne le pensaient Sérieux et Capgras. Les contenus délirants, les thèmes, touchent le plus souvent à l'histoire personnelle du patient. Ils sont égocentriques. Au sentiment fréquent d'atteinte du moi, dans la période initiale, succède fréquemment celui d'hypertrophie du moi à la période terminale. Comme l'avait déjà remarqué Lasègue, le sujet passe successivement de la dépression à la persécution, puis à la mégalomanie (folie des grandeurs). L'extension du délire peut se faire soit en secteur, c'est-à-dire en restant localisée à l'idée prévalente (passion amoureuse ou jalouse, revendication, invention, mysticisme, réforme religieuse ou politique, filiation), soit en réseau, c'est-à-dire en gagnant progressivement toutes les relations et tous les secteurs de la vie du malade. C'est le cas habituel dans la forme classique du délire interprétatif de persécution. Ainsi se trouvent caractérisées deux grandes formes de délires : les délires passionnels à idée prévalente ( érotomanie, jalousie, revendication) et les délires interprétatifs extensifs.

L'érotomanie, magnifiquement décrite par G. de Clérambault, est l'illusion délirante d'être aimé par un « objet » le plus souvent inaccessible (vedette, homme politique en vue, médecin, prêtre, avocat, ces trois dernières professions étant spécialement prédisposées à servir d'objet à l'érotomane, qui, huit fois sur dix, est une femme). L'affection évolue selon trois stades : après une phase d'espoir souvent prolongée arrive la phase de déception durant laquelle les sollicitations sont de plus en plus inopportunes pour l'« objet », puis la phase de rancune qui peut s'accompagner de manifestations médico-légales graves (chantage, conduites agressives et parfois tentatives de meurtre).

Le délire de jalousie est une jalousie amoureuse morbide qu'il faut bien distinguer des délires de jalousie secondaire de l'alcoolique. Elle est souvent l'expression d'une passion homosexuelle inconsciente pour le rival (D. Lagache).

Le délire de revendication est caractérisé par le besoin prévalent et la volonté irréductible de faire triompher une demande que la société se refuse à satisfaire. Le patient a la conviction inébranlable de détenir la vérité et d'être d'une entière bonne foi. S'en rapprochent les délires de filiation et de parenté célèbre méconnue (dans le genre faux « Louis XVII », « fille du Tsar rescapée du massacre », entre autres), les délires mystico-religieux et politiques (dont sont atteints certains assassins de chefs d'État, régicides décrits par E. Régis), les délires d'invention (« inventeurs méconnus » du traitement du cancer, du mouvement perpétuel, par exemple ; il n'est pas toujours aussi facile qu'on l'a dit de les distinguer des inventeurs authentiques). Enfin, les « idéalistes passionnés » décrits par Dide et Guiraud, souvent réformateurs ou mystiques, peuvent rentrer dans cette catégorie, encore qu'il s'agisse moins de véritables délirants que de personnalités psychopathiques, lesquelles posent le problème, envisagé plus loin, du passage de la personnalité paranoïaque au délire paranoïaque.

La forme la plus classique des délires interprétatifs est le délire de persécution à interprétations[...]

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Écrit par

  • : médecin-chef au centre hospitalier Sainte-Anne, Paris

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