PARANOÏA (histoire du concept)
Étiologie et pathogénie : la personnalité paranoïaque
L'apparition des délires paranoïaques, chez des sujets le plus souvent prédisposés, les a fait considérer soit comme des psychoses purement endogènes (Kraepelin, Kehrer, Gaupp), soit comme un développement de la personnalité antérieure (Jaspers, Lacan) sans qu'il y ait véritable solution de continuité entre le caractère paranoïaque et le délire. Rares sont les psychiatres qui ont retenu la possibilité d'un véritable processus morbide entraînant un bouleversement total de la personnalité (G. de Clérambault, K. Schneider). Il est cependant admis que certaines expériences délirantes primaires, des « crises » ou « moments féconds » dans la vie du sujet, de véritables intuitions délirantes peuvent brusquement faire basculer dans la psychose ce qui n'était jusque-là qu'une personnalité paranoïaque.
Celle-ci, bien décrite par G. Genil-Perrin en 1926, se définit par un certain nombre de tendances ou traits de caractère : orgueil, méfiance, fausseté du jugement, psychorigidité et inadaptabilité. Ces tendances relèvent de deux troubles fondamentaux : la surestimation pathologique du moi et la fixation de la sexualité à un stade prégénital.
Le premier trouble aurait son origine dans un égocentrisme primitif qui entraîne une altération unilatérale des relations du sujet avec autrui et lui donne le sentiment de vivre dans un monde de « méchanceté convergente » (Alby) : la méfiance qu'il affiche est alors inévitable ; la fausseté précoce du jugement l'amène à se tromper sur lui-même et sur les autres ; l'autocritique est fortement troublée, et la systématisation abusive apparaît facilement.
Le second trouble est caractérisé par un choix d'objet sexuel prégénital : soit hétérosexuel avec difficultés de relations sexuelles normales et troubles du type de l'éjaculation précoce (refus de donner au partenaire) ou de l'exhibitionnisme, soit non réalisé (très forte timidité), soit homosexuel. Mais dans ce dernier cas, l' homosexualité reste généralement inconsciente et latente. Sa manifestation est inacceptable pour le patient qui va s'en défendre par la projection paranoïaque ; celle-ci donne la clé de la psychogenèse du délire paranoïaque.
C'est Freud qui, en étudiant les Mémoires d'un célèbre paranoïaque, le président Schreber, interné pendant de nombreuses années, a montré l'importance des processus de projection dans le déclenchement du délire : « Une perception interne est réprimée, et, en ses lieu et place, son contenu, après avoir subi une certaine déformation, parvient à la conscience sous forme de perception venant de l'extérieur. Dans le délire de persécution, la déformation consiste en un retournement de l'affect ; ce qui devrait être ressenti intérieurement comme de l'amour est perçu extérieurement comme de la haine. » Ainsi naît la « persécution », par une projection défensive contre un sentiment intolérable que Freud ramène finalement à une proposition unique : « Moi (un homme), je l'aime (lui, un homme) », que le délirant contredit en proclamant : « Je ne l'aime pas, je le hais. » Mais cette contradiction reste inconsciente et se trouve traduite – la perception intérieure étant remplacée dans le mécanisme projectif par une perception venant de l'extérieur – par le processus suivant : « Je le hais » devient, grâce à la projection, « Il me persécute », ce qui justifie la haine propre du délirant.
Dans le délire de jalousie, comme l'a montré Lagache, le mécanisme est identique, le malade soupçonnant le conjoint d'aimer des partenaires qu'il désire lui-même, inconsciemment. D'où cet intérêt persécutoire chez le jaloux pour le rival, comme on le voit parfaitement décrit dans [...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jacques POSTEL : médecin-chef au centre hospitalier Sainte-Anne, Paris
Classification