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PARIAS URBAINS. GHETTO, BANLIEUES, ÉTAT (L. Wacquant)

Dans Parias urbains. Ghetto, banlieues, État (traduit de l'anglais par Sébastien Chauvin, La Découverte, 2006), Loïc Wacquant se propose d'expliciter les mécanismes génériques et les formes spécifiques de la marginalité urbaine à travers une comparaison du ghetto noir américain et des banlieues françaises. Structuré en trois parties et neuf chapitres, l'ouvrage a pour objectif ambitieux de tracer l'esquisse sociologique de la « marginalité avancée » en tant que régime de relégation sociospatiale.

Fondée sur une enquête empirique effectuée dans le South Side de Chicago, la première partie montre les liens mortifères entre la domination raciale, les inégalités de classe et l'action de l'État. Dans la grande ville du nord des États-Unis, la cause essentielle de l'enracinement de la marginalité est l'effondrement des institutions publiques, dû à des politiques étatiques d'abandon urbain et de contention punitive du sous-prolétariat noir. L'auteur démantèle ici le mythe de l'underclass – qui serait une composante nouvelle de la population noire et pauvre, caractérisée par ses déficiences comportementales et sa déviance culturelle – une notion largement mobilisée dans le discours politique et médiatique américain, contribuant à accentuer la stigmatisation et l'isolement des habitants noirs du ghetto.

Dans le même temps, il décrit le passage du ghetto communautaire des années 1950 à l'« hyperghetto » contemporain. S'appuyant notamment sur des données chiffrées précises, quoique un peu anciennes (1988), il montre comment les processus économiques (passage de l'industrie lourde à une économie centrée sur les services), politiques (désengagement de l'État-providence et retrait des services publics dans les zones déshéritées) et la persistance de la ségrégation résidentielle stricte des Afro-Américains en ont favorisé l'émergence.

À l'aide d'une comparaison méthodique entre le ghetto noir de Chicago et la cité des Quatre Mille à La Courneuve, l'auteur réfute avec pertinence la thèse, véhiculée par les médias, les responsables politiques et certains universitaires, d'une « américanisation » de la pauvreté, selon laquelle émergeraient des ghettos à la périphérie des villes européennes. Alors que les formes de « triage » enfermant les populations du ghetto noir reposent exclusivement sur l'appartenance ethnoraciale, la banlieue regroupe en effet des populations aux origines nationales diverses et la relégation s'y fonde d'abord sur l'origine de classe. De plus, la violence et la criminalité engendrent un climat de terreur et conduisent à la quasi-disparition de l'espace public au sein du ghetto américain. Cette situation apparaît sans commune mesure avec l'insécurité, réelle et perçue, au sein des banlieues ouvrières françaises.

L' exclusion urbaine présente toutefois des invariants comme la stigmatisation territoriale constante dont font l'objet les habitants de ces quartiers pauvres et l'existence de clivages structurant leurs consciences tels que l'opposition entre Noirs et Blancs aux États-Unis et l'antagonisme radical, dans les banlieues françaises, entre les « jeunes » et les autres résidents.

Dans une dernière partie, Loïc Wacquant construit un idéal-type – pouvant aussi être appréhendé comme le produit de logiques structurelles – de la nouvelle pauvreté. Il identifie ainsi une dualisation socioprofessionnelle (besoin croissant d'emplois hautement qualifiés et rémunérés et élimination corrélative des emplois peu ou non qualifiés) qui s'accompagne d'un creusement des inégalités à un moment où pourtant s'élève le niveau de vie de manière collective dans les pays avancés. À cette première dynamique macrosociétale s'ajoutent les transformations de la sphère du[...]

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