PARIS 1874. INVENTER L'IMPRESSIONNISME (exposition)
Le 15 avril 1874 s’ouvrait à Paris l’exposition de la Société anonyme coopérative des artistes peintres, sculpteurs et graveurs, fondée le 27 décembre 1873, en partie – mais pas seulement – par des artistes qui revendiqueront ensuite leur appartenance au mouvement impressionniste (Degas, qui joua un rôle certain dans cette affaire, Renoir, Monet, Sisley, Pissarro, Berthe Morisot…).
C’est cette manifestation que le musée d’Orsay a choisi d’évoquer à travers l’exposition Paris 1874. Inventer l’impressionnisme (26 mars-14 juillet 2024), dans le cadre de la commémoration officielle des cent cinquante ans de ce mouvement, qui comprenait d’autres événements à Paris et en région.
Située dans les anciens locaux de Nadar (35, boulevard des Capucines), l’exposition de 1874 était née de la volonté des sociétaires de montrer librement leurs œuvres – en dehors des contraintes et face aux rejets du Salon officiel – dans l’objectif de se faire connaître et de vendre ces créations. Si l’idée, soutenue par des collectionneurs et des marchands comme Durand-Ruel, avait pour antécédent le « Pavillon du réalisme » de Courbet en 1855, la révolte des impressionnistes avait pris corps entre 1860 et 1871, avec le groupe des Batignolles dont les réunions se tenaient notamment dans l’atelier de Manet ou au café Guerbois. Entre-temps avait eu lieu le Salon des refusés de 1863, voulu par Napoléon III, lui-même inspiré par Viollet-le-Duc. C’est dire si la contestation des règles du Salon officiel et de l’académisme et la nécessité d’un art adapté au monde moderne étaient dans l’air.
Une exposition pionnière
L’exposition de 1874 intervenait dans une ville repensée par le baron Haussmann mais qui portait encore les stigmates de la guerre de 1870 et de la Commune. À cet égard, le boulevard des Capucines, proche de l’Opéra Garnier, constituait certes un lieu idéal de promotion et de vente. L’exposition rassemblait 200 œuvres de 31 artistes de tous âges, dont les origines sociales et les sensibilités politiques étaient fort diverses. La connaissance que nous en avons se fonde essentiellement sur le livret et sur les comptes-rendus souvent critiques de la presse. Avec 3 500 visiteurs payants environ, ce fut un échec commercial et la société fut dissoute. Seules quelques peintures de Monet, Renoir, Sisley et Cézanne y furent vendues.
Bien qu’organisée dans un temple de la photographie, il n’en subsiste aucun cliché. Il a donc fallu que les deux commissaires de l’exposition de 2024, Sylvie Patrie et Anne Robbins, mènent à bien un travail complexe d’identification des œuvres pour aboutir à la sélection proposée, avec parfois des changements de titre. Dans le parcours, composé d’une dizaine de sections, une place est également faite au Salon officiel du palais de l’Industrie et des Beaux-Arts, sur les Champs-Élysées, qui présentait plusieurs milliers d’œuvres dont 2 000 peintures. Le critique Castagnary disait de cette manifestation : « Ce qui lui fait défaut, c’est l’œuvre capitale […] qui devient une date dans l’histoire de l’art. » L’exposition du musée d’Orsay souligne du reste que le public du Salon officiel s’intéressa principalement – malgré la présence d’œuvres insignes comme L’Éminence grise de Jean-Léon Gérôme (1873 ; Boston, Museum of Fine Arts) ou pleinement d’actualité, tel Le Chemin de fer de Manet (1873 ; Washington, National Gallery) – aux souvenirs tragiques de la défaite française face à la Prusse, ainsi le tableau de Detaille, Charge du 9e régiment des cuirassiers à Morsbronn (1874 ; Reims, musée Saint-Rémy).
La présence de Manet au Salon – qu’il considérait comme un lieu incontournable de reconnaissance – à travers une œuvre très moderne, et son absence de l’exposition du boulevard des Capucines – où figurait en revanche des œuvres d’artistes[...]
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Écrit par
- Robert FOHR : historien de l'art
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