PARIS MA GRAND'VILLE (R. Grenier) Fiche de lecture
Roger Grenier, journaliste, écrivain et éditeur aux éditions Gallimard, est né à Caen (Calvados), en 1919. Après une enfance et une adolescence passées à Pau, il arrive le 30 novembre 1943 à Paris, où il réside encore. Publié en 2015 aux éditions Gallimard, Paris ma grand'ville, titre qui fait allusion à la chanson que récite Alceste dans Le Misanthrope de Molière, est une autobiographie tout à fait insolite, construite comme un puzzle dont les pièces renvoient à autant de lieux chers à son habitant. L'auteur nous promène ainsi dans les rues de sa mémoire, feuilletant ses carnets d'adresses et jouant sur le paradoxe d'un regard à la fois proche et distancié : si l'aventure semble tenir dans le point de vue immédiat, subtil et concis, de notre guide sur sa géographie intime, en revanche son recul panoramique sait reconnaître la magie du hasard ou le jeu malicieux de ses énigmes, sous la reconstruction rétrospective de l'anamnèse.
La carte d’un tendre
Le livre de Roger Grenier procède d'une démarche étonnante : son vade-mecum parisien est constitué de cent seize courtes proses dont les titres sont des numéros et des noms de rues. La première d'entre elles, intitulée 21, rue Mazarine, ressuscite, entre deux porches, la silhouette de son père, André Grenier, désormais inconnue à cette adresse, en même temps que l'ombre de son grand-père qui exerça, tout près, le métier de prote et imprimeur. Or ce même lieu jouxte le pont des Arts, dernière étape de son itinéraire existentiel, qui suspend sur une note d'infinie tendresse le cours de sa vie. Au vrai, l'habitant de Paris se laisse étonner en superposant les strates de ses souvenirs et en ressuscitant ses vies mortes : une étrange ironie conjugue secrètement les temps avec les lieux. Recousant l'anodin à l'universel, elle fait d’un destin ordinaire une étrange odyssée.
Au fil des adresses revisitées par Roger Grenier, Paris ma grand'ville déploie la carte d'un tendre. Avec un humour aussi léger que métaphysique, avec autant d'humanité que d'élégante pudeur, le flâneur se transforme en joueur surpris, redécouvrant simultanément le dessous des cartes qu'il eut en mains. « Le pont des Arts », ultime pièce du puzzle, renvoie, par exemple, dans la fugue des souvenirs jouant sur les mots et les lieux, à l'un de ses plus chers amis, le poète Claude Roy qui écrivit un roman portant ce titre, aux moments de bonheur partagé avec lui autant qu'aux heures graves (le chagrin lors de la dispersion de ses cendres dans la Seine), en même temps qu'à cet air de musique qui s'éteint peu à peu au milieu des touristes, des amoureux et des enfants, tandis que le promeneur dans ses rêveries solitaires passe et s'éloigne sur le fameux pont aux cadenas.
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Écrit par
- Yves LECLAIR : professeur agrégé, docteur en littérature française, écrivain
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