PARIS MA GRAND'VILLE (R. Grenier) Fiche de lecture
Traces et silhouettes
Pour évoquer son Paris intime, Roger Grenier suit les lieux où il a habité, combattu, aimé ou travaillé. S'il en respecte la chronologie, c'est avec le sourire d'un lecteur de Tchekhov. Sa vie ne fut pas un rêve : nombreux, mais sans misérabilisme, sont les souvenirs de l'ancien journaliste qui vécut d'expédients, entre une Pléiade de Baudelaire et quelques flocons d'avoine, dans de petites chambres d'hôtel au sixième étage ou des logements provisoires prêtés, et partagés parfois avec des rats, dans le même dénuement que la plupart des artistes qu'il fréquentait alors. Ce mémorial d'une longue vie vaut, en effet, par les silhouettes du petit monde que grossit le bon bout de sa lorgnette. Le « pariscope » de Roger Grenier offre des esquisses, des pochades, des croquis jamais méchants, des anecdotes souvent tendres et amusées sur les grands et petits dieux de la vie culturelle parisienne du xxe siècle que le journaliste (et homme de radio) qu’il fut a pu rencontrer : Albert Camus, avec qui il commença sa carrière au journal Combat, mais aussi Bachelard, Faulkner, Berl, Guilloux, Montherlant, Jean-Pierre Melville, Audiberti, Barbara, Gide, de Richaud, Alejo Carpentier, Gary, Dubillard, Follain, Vian, Prévert… L'espace intérieur de Grenier a non seulement été marqué par de multiples visages d'humanité, mais aussi par de grands moments de notre histoire, comme la Libération de Paris à laquelle le jeune résistant participa, échappant par miracle aux balles de la Wehrmacht. Paris ma grand’ville offre ainsi le témoignage aussi personnel qu'historique d'un mémorialiste du minuscule.
« Je vous salis ma rue », disait drôlement Prévert. Roger Grenier, quant à lui, salue la vie dans ses rues, sans la salir, bien que le Paris de la mort lui en ait fait voir de toutes les couleurs. Lucide, son écriture de pince-sans-rire reste très discrète sur sa vie intime. Sachant qu'il est dans les souvenirs tant de « lieux où il est doux d'être triste » (Henri de Régnier), le promeneur du soir ne doit pas succomber au spleen de Paris. À l'aigre-doux de la mélancolie qui aime s'apitoyer sur soi, autant qu'à la prétendue gravité de la posture grandiloquente, Roger Grenier préfère la bienveillante stupeur d'être, en célébrant dans une langue simple et retenue le Paris magique de sa vie. Tout comme le très facétieux Raymond Queneau entrait en catimini – nous dit encore son témoin amusé – dans les églises et chapelles secrètes de sa grand'ville pour y allumer des cierges.
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Écrit par
- Yves LECLAIR : professeur agrégé, docteur en littérature française, écrivain
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