PARLEMENT EUROPÉEN
Un parlementarisme fonctionnaliste
L’originalité du Parlement européen ne réside pas seulement dans les moyens qu’il a mis en œuvre pour obtenir ses pouvoirs, mais également dans la façon dont il en use. À l’image du système politique dans lequel elle opère, l’assemblée strasbourgeoise se révèle en effet profondément fonctionnaliste, c’est-à-dire soucieuse de résultats et ouverte aux compromis. Parlementarisation et fonctionnalisme se sont révélés profondément compatibles, le Parlement européen se faisant de facto le successeur du technocratisme transnational utopique des années 1950 par d’autres moyens – ceux de la délibération rationalisée et de l’intégration d’élites partisanes spécialisées au processus de décision européen. C’est dans ce cadre que les eurodéputés ont dû accepter de jouer un jeu dont ils étaient rarement les pièces centrales et dont les règles se distinguaient nettement de l’ethos parlementaire traditionnel – y compris pour des Européens du Nord. Les élus doivent notamment, au sein de chaque commission, faire confiance à des rapporteurs principaux et à des « rapporteurs de l’ombre », chargés de trouver un compromis entre eux, puis de négocier secrètement et longuement avec des représentants de la Commission et du Conseil de l’UE au sein de « trilogues » (réunions tripartites) particulièrement techniques.
Une sorte de parlementarisme du compromis, passablement terne, est ainsi à l’œuvre au sein des institutions de l’UE. Dans près de 90 % des cas, les principaux groupes politiques – notamment les socio-démocrates, les démocrates-chrétiens et les libéraux – parviennent à trouver un accord. La séance plénière sert alors à valider rapidement ce compromis âprement mais confidentiellement disputé, sans qu’on puisse apporter à ce stade de nouveaux amendements ni se risquer à de nouvelles lectures. Les dirigeants du Parlement européen et la puissante structure administrative de celui-ci entendent ainsi faire la démonstration de leur utilité. De leur point de vue, c’est parce qu’elle en fait un usage modéré, responsable et constructif, que l’assemblée strasbourgeoise a mérité ses nouvelles prérogatives octroyées par les traités, et qu’elle mériterait d’en obtenir d’autres à l’avenir. Ainsi, afin de démontrer qu’il n’est pas un facteur de blocage de la machine européenne, le Parlement européen a-t-il dû en accepter les règles au moyen d’un processus d’autorationalisation relativement unique dans l’histoire.
La quête pavlovienne du compromis a certes ses détracteurs au sein du Parlement européen. Cependant, ceux-ci sont presque systématiquement marginalisés dans des groupes politiques secondaires ou se voient refuser l’accès aux positions d’influence. La relative confidentialité médiatique du Parlement favorise du reste les partisans du compromis : le poids des opinions publiques nationales ou d’une opinion européenne encore virtuelle n’est qu’un élément parmi d’autres de la négociation – y compris lorsqu’un projet est impopulaire. On aboutit ainsi à un paradoxe majeur : le Parlement européen s’est affirmé grâce au suffrage universel, mais il participe au compromis européen en raison de la faible visibilité de ses travaux.
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Écrit par
- Olivier ROZENBERG : professeur associé, Centre d’études européennes et de politique comparée de Sciences Po, Paris
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