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PARODIE, littérature

Histoire de la notion de parodie

Un genre aux contours incertains

Pourtant Aristote l'évoque au chapitre ii de la Poétique : « Homère a représenté des personnages meilleurs, Cléophon, semblables, Hégémon de Thasos, le premier auteur de parodies, et Nicocharès, l'auteur de la Deiliade, pires » (trad. Dupont-Roc, Lallot, 1980). Dans la sorte de grille des genres littéraires qu'il établit, la parodie aurait, semble-t-il, occupé la quatrième « case », correspondant à la représentation en mode narratif de personnages et d'actions « bas ». Or si Aristote a bien défini les cases de la tragédie et de l'épopée et annoncé au chapitre vi un traité sur la comédie qui ne nous est pas parvenu, il ne nous a pas laissé d'autres informations sur la parodie que ces allusions à des œuvres de son temps. Elles permettent, en accord avec la logique de son système générique, de conjecturer que la parodie devait être soit une épopée présentant des actions et des personnages bas, soit une épopée ridiculisant une épopée connue (la Deiliade étant littéralement une « Iliade des lâches »).

L'étymologie du mot parodie confirmerait d'ailleurs la seconde hypothèse : ôdê signifiant « le chant », et para à la fois « contre » et « à côté », la notion de parodie postule un « contrechant », une œuvre qui se construit dans l'opposition à une autre, ou du moins en regard d'une autre. Que la relation qui les unit soit de l'ordre d'une transformation comique, la Deiliade et le Margitès, une épopée burlesque également mentionnée par Aristote au chapitre iv de la Poétique, le laissent entendre. Il reste que le manque de précisions de la poétique aristotélicienne a pesé lourdement sur le destin de la parodie comme genre littéraire.

Cela d'autant plus que dans l'Antiquité même se rencontre une autre conception qui la fait apparaître comme un simple procédé de citation comique : pour certains rhétoriciens et grammairiens grecs est parodie toute insertion dans une comédie d'un bref passage tragique, lyrique ou épique, avec ou sans transformation, la simple recontextualisation suffisant à produire l'effet comique escompté (cf. F. J. Householder, « Parodia », in Classical Philology, vol. XXXIX, 1944). Cette conception qui réduit la parodie à une opération ponctuelle se retrouve dans les rhétoriques latines. Ainsi, Quintilien, dans Sur la formation de l'orateur(De institutione oratoria), recense parmi les moyens de faire rire un auditoire celui de « forger des vers qui ressemblent à des vers connus, ce que l'on nomme parodie ». En l'absence d'une véritable définition générique, ce sera cette conception « citationnelle » de la parodie qui dominera à l'époque classique. Plutôt que dans les poétiques, on trouvera donc la parodie dans les rhétoriques. Si le Traité des tropes de Du Marsais (1730) la définit comme « un ouvrage en vers dans lequel on détourne, dans un sens railleur, des vers qu'un autre a faits dans une vue différente », elle se présente d'abord comme une figure (« de sens adapté »), et Du Marsais lui-même cite avant tout des « applications » de vers isolés. Il est du reste symptomatique que Boileau ait préféré appeler « comédie » la parodie de quelques scènes du Cidqu'il avait composée (avec quelques autres) dans Chapelain décoiffé. C'est aussi parce que, ne bénéficiant pas de l'institutionnalisation du poème héroï-comique (dans lequel on pastiche le style épique pour traiter un sujet bas) ni du travestissement burlesque (dans lequel on pastiche le style vulgaire pour traiter un sujet noble), la parodie est considérée comme une pratique peu avouable, un pur divertissement, un « ingénieux badinage » qui ne se justifie que dans la mesure où il peut aider à corriger les défauts des[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur à l'université de Grenoble-III-Stendhal

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Médias

<em>Le Masque des orateurs</em>, Jean de Soudier de Richesource. - crédits : BnF, X-18739

Le Masque des orateurs, Jean de Soudier de Richesource.

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