PARURES TRIOMPHALES (exposition)
Remises en évidence par l'érudition encyclopédique de la seconde moitié du xixe siècle, les armures n'en demeurent pas moins victimes d'une hiérarchie anachronique qui les classe, comme l'ensemble des arts décoratifs, parmi les manifestations mineures de la production artistique. Généralement conservées dans des musées militaires, elles restent cloisonnées dans un domaine réservé aux spécialistes.
Organisée par José Godoy et présentée au musée Rath de Genève, du 20 mars au 20 juillet 2003, l'expositionParures triomphales. Le maniérisme dans l'art de l'armure italienne avait donc un double mérite. D'une part, elle rendait accessible à un large public tout un champ de recherche trop mal connu. D'autre part, elle rétablissait une véritable hiérarchie, dans laquelle les armures, acquises à prix d'or par les plus grands souverains de l'Europe, rivalisent par leur valeur artistique avec les techniques les mieux considérées. Pour servir sa démonstration, elle se focalisait sur une catégorie particulière d'armures antiquisantes datant du xvie siècle, servant surtout à la représentation (tout en conservant leur fonction défensive), et se concentrait sur le foyer de production le plus actif dans ce type d'armures de luxe destinées à l'élite européenne : Milan. Elle rassemblait ainsi plus d'une centaine d'œuvres de la plus haute qualité, constituées tantôt par des pièces isolées, tantôt par des garnitures plus complètes (y compris les ornements du cheval) donnant parfois lieu à des reconstitutions spectaculaires. Échelonnées entre 1530 et 1600 environ, elles suivaient un ordre essentiellement chronologique, propre à mettre en lumière une évolution technique et stylistique.
Point de départ du parcours, la bourguignotte (salade à visière) de Guidobaldo II della Rovere, duc d'Urbin (Ermitage, Saint-Pétersbourg) adopte la forme d'un monstre terrifiant. Caractérisée par un fort relief en repoussé, elle est exécutée à partir d'une seule plaque d'acier, vers 1532-1535, par Filippo Negroli. Celui-ci, célébré par Giorgio Vasari, dirige un important atelier familial. Lui faisant face, la bourguignotte de Charles Quint (Real Armería, Madrid) montre un Turc asservi par la Victoire et la Renommée. Également définie par un fort relief, elle est signée en 1545 par Filippo Negroli et son frère Francesco, ce dernier étant certainement responsable des parties damasquinées. Cette pièce met ainsi en évidence, d'une part, la subdivision du travail au sein des ateliers d'armuriers, d'autre part le développement croissant du damasquinage, qui s'accompagne d'un relief moins accusé et d'une plus grande compartimentation du décor. En témoigne la bourguignotte de Henri II (musée de l'Armée, Paris). Réalisée à Milan vers 1550-1555, elle représente des amours ainsi que les figures de la Victoire, de la Renommée et de Mars ; une déesse coiffée d'une bourguignotte et munie d'un javelot de chasse y synthétise les attributs de Bellone, déesse de la guerre, et de Diane, en l'honneur de la maîtresse royale, Diane de Poitiers. Son décor, alliant des thèmes guerriers et amoureux, d'inspiration à la fois allégorique et mythologique, témoigne de l'usage d'un répertoire gravé « michelangelesque », qui n'évoluera que très peu durant la seconde moitié du XVIe siècle. En revanche, la complexité croissante de la structure et du décor damasquiné, jouant sur les contrastes chromatiques entre l'or et l'acier bleui ou noirci, apparaît clairement à travers quelques splendides garnitures : celle de Ferdinand II de Tyrol, due à Giovan Battista Panzeri (dit Zarabaglia) et Antonio Fava, vers 1559-1560 (Hofjagd- und Rüstkammer, Vienne) ; celle d'Alexandre Farnèse, attribuée à Lucio Marliani, vers 1576-1580[...]
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Écrit par
- Frédéric ELSIG : docteur ès lettres, maître assistant en histoire de l'art médiéval à l'université de Genève (Suisse)
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