PASSAGES, architecture
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Éléments constitutifs du passage
Le toit vitré
La couverture du passage est l'élément le plus original ; le toit vitré protège le passant et inonde le passage d'une lumière homogène qui gomme les ombres, fait du passage une sorte d'aquarium sec, pour reprendre une image souvent employée, et le plonge dans une atmosphère de féerie.
Au début, le jour arrive par des ouvertures vitrées découpées dans le toit (passage des Panoramas). C'est plus tard seulement que le passage se couvre d'une verrière sur toute la longueur. Delorme, qui a fait construire le passage portant son nom, est considéré comme l'inventeur du passage muni d'un toit de verre sur toute sa longueur. Mais rares sont les passages ouverts qui ont été recouverts par la suite d'un toit vitré. Le toit vitré fait partie intégrante du type et le passage est conçu en fonction de lui.
Le premier modèle de toit vitré, c'est le toit à deux pans sur fermes métalliques prenant appui sur les bâtiments qui bordent le passage. Le passage présente encore l'aspect d'une rue couverte. Ce caractère tendra à disparaître à partir du moment où toute l'armature du passage sera métallique (fermes reposant sur des piliers de fonte) ; le passage apparaîtra dès lors comme un ensemble architectural tout à fait cohérent (Deansgate Arcade à Manchester ou Cleveland Arcade). La galerie d'Orléans est la première à recevoir une couverture d'un type nouveau, un berceau de fer vitré, solution qui se généralisera avec la monumentalisation du passage, car le berceau est mieux adapté à des passages d'une plus grande largeur. La couverture en berceau était sans doute aussi de nature à conférer un caractère plus pompeux, voire plus sacré à ces édifices qui furent des « temples modernes », pour reprendre l'expression de Claude Mignot.
Le toit vitré peut être continu, scandé par des arcs diaphragmes (galerie Vivienne), il peut recevoir une coupole, notamment à l'intersection de deux passages (certains passages sont entièrement éclairés par des coupoles ; Royal Arcade, 1832, New Castle), être interrompu par des immeubles-ponts.
Façades intérieures et portes
Les élévations intérieures des passages sont traitées comme des façades. Elles sont symétriques et répètent le même module qui coïncide avec la largeur d'une boutique. On ne saurait dire qu'elles se distinguent des autres façades de la même époque si ce n'est par le rythme régulier de leur composition. La vitrine est subdivisée par des baguettes de bois que remplaceront des baguettes de cuivre quand se développera l'architecture métallique. Les boutiques seront alors de plus en plus souvent séparées les unes des autres par des piliers de fonte supportant le toit vitré. Il est fréquent que les constructions du passage ne comportent qu'un étage : un rez-de-chaussée affecté aux boutiques et un étage souvent percé de fenêtres en demi-lune. Un bandeau qui court entre le rez-de-chaussée et l'étage traduit visuellement la différenciation des fonctions. Parfois, le passage s'évase verticalement, les étages supérieurs en retrait rappellent le profil de la pyramide à gradins et annoncent l'architecture paquebot. L'accès aux étages s'effectue alors par des escaliers et par des coursives installées sur la marge du retrait auxquelles s'ajoutent le cas échéant des coursives en encorbellement pour les étages qui sont de même aplomb.
La porte d'entrée du passage peut prendre place entre deux immeubles, elle peut avoir été percée dans un immeuble donnant sur la rue ou prévue dans un immeuble spécialement construit lors de la création du passage (dans les deux derniers cas, on parlera d'« immeuble-porte »). La porte des premiers passages était souvent plus étroite et moins haute que le passage lui-même, et ce seuil aux dimensions domestiques procure un sentiment d'intimité à qui le franchit. Elle prendra de l'ampleur à mesure que les passages deviendront plus spacieux et elle finira par déterminer toute l'ordonnance de la façade et former les authentiques propylées de ces passages construits à la fin du xixe siècle qui furent davantage le lieu d'un culte politique que le refuge du désœuvrement. Cette évolution se rencontre d'ailleurs dans les rues commerçantes sur toutes les façades qui, avec l'apparition de la réclame, tendent à devenir une extension de la vitrine.
La boutique
Les boutiques s'alignent sans solution de continuité le long du passage et font défiler devant les yeux du passant des marchandises dont la diversité apporte un contrepoids à la monotonie architectonique de l'ensemble. Le fond de la boutique est un mur aveugle (passage du Caire), parfois s'y découpent des vitrines donnant sur une rue parallèle au passage (passage Choiseul) ou bien il est percé de simples fenêtres ou d'une porte à l'usage des commerçants et des fournisseurs.
L'étage situé au-dessus de la boutique est cloisonné, la circulation transversale y est impossible et il n'est alors accessible que de la boutique, la liaison étant assurée par un escalier hélicoïdal (passage Véro-Dodat). La pièce en étage est de même surface que la boutique et sert de réserve. Si les accès sont situés à l'extérieur de la boutique, la segmentation de l'étage ne recoupe pas forcément celle du rez-de-chaussée et ces locaux qui en résultent sont en général à usage d'habitation.
La nature des entreprises commerciales diffère selon les passages. On distinguera en gros les passages où se vendent des produits de luxe et les passages où sont installés des commerces de produits de consommation courants et des artisans. Dans les premiers (passage de l'Opéra, galerie Vivienne), on trouve des marchands de soieries, d'articles de nouveauté, de parapluies, de cravates, de jouets, de comestibles de luxe, des parfumeurs, des tailleurs, des horlogers, des orfèvres, des cabinets de lecture, des marchands d'estampes... Il faut encore ajouter les restaurants, les théâtres, les bals, les cafés, les bains, les hôtels, les cercles de jeu, les bordels, les panoramas – ces peintures circulaires en trompe l'œil qui furent des attractions fort appréciées –, bref, tout ce qui était propre à satisfaire le besoin de divertissement d'un public, autochtone ou étranger, riche et souvent oisif. Dans les seconds (passage du Caire), qui n'ont pas la faveur du public chic comme en témoigne la description qu'en fait A. Kermel (« Le Caire dans cet infect caravansérail, Le Caire dans ce carrefour humide, Le Caire dans ces enfants en guenilles, Le Caire argenté et resplendissant, dans cette atmosphère froide et plombée, Le Caire dans cette coulisse ! Profanation, trois fois profanation ! », Paris, ou le Livre des cent-et-un, tome X, p. 68, Ladvocat, Paris, 1833), régnait une atmosphère très populaire, et des magasins de jouets, de lingerie coexistaient avec des échoppes où des artisans exerçaient des activités pré-industrielles.
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Écrit par
- Jean-François POIRIER : écrivain et historien d'art
Classification
Autres références
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Voir aussi
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