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PASSER À L'ÂGE D'HOMME (D. Fabre) Fiche de lecture

Vers l’âge d’homme

En remontant du xixe siècle, au début du xviie siècle, la relecture du Journal tenu par Jean Héroard, médecin du futur Louis XIII, déplace l’enquête du monde rural vers la société de cour pour décrire l’alliance des oiseaux et du pouvoir dans l’éducation des rois, lorsqu’ils sont pensés sous les traits du monarque oiseleur. Ainsi, Louis XIII inaugure son règne, en 1610, par le lâcher de centaines de moineaux dans la nef de la cathédrale de Reims, selon une coutume qui perdurera jusqu’au sacre de Charles X (1825). De même à partir d’un ensemble de mémoires aristocratiques, le chapitre « La nuit des pages » nous conduit à la cour de Versailles, sous Louis XVI, pour observer l’éducation qu’y reçoivent les pages. Elle fait apparaître là encore une logique initiatique, parallèle à la raison pédagogique, faite de contre-règles, d’épreuves absurdes, d’explorations de l’espace forestier et de leur transposition théâtrale, pour prendre en charge la domestication de la noblesse comme monopole royal.

Un dernier essai, également inédit, interroge le déplacement dans le champ médical du modelage symbolique de l’identité sexuelle à travers ce que l’auteur désigne comme les « petites chirurgies de l’enfance » (ablation des amygdales, opération des végétations), telles qu’elles sont remémorées dans les autobiographies d’écrivains du xxe siècle, comme Michel Tournier, Georges-Emmanuel Clancier, André Chamson. Ce qui revient à admettre que, dans nos sociétés modernes, ce n’est que rétrospectivement que ces épreuves sont comprises par ceux-là mêmes qui les ont subies, comme un rite biographique qui fait grandir et non comme une nécessité médicale. D’où le qualificatif d’« invisible » introduit par l’auteur pour caractériser la singularité de l’initiation des sociétés européennes.

L’ethnologie de l’Europe pratiquée par Daniel Fabre exige beaucoup d’audace et de science pour lier une coutume carcassonnaise de la jeunesse d’Ancien Régime ‒ la fête du roitelet ‒ à la mythologie chrétienne de l’oiseau témoin de la naissance du Christ, aux lâchers rituels de volatiles dans les églises, en passant par l’éducation des rois et les techniques de chasse, pour retrouver dans les récits d’enfance toutes les étapes du nécessaire passage par la voie des oiseaux et, parallèlement, ses métaphorisations dans la poésie amoureuse des troubadours aussi bien que dans l’univers des livres et des abécédaires. Mais, au terme d’un parcours qui appelait sans cesse vérifications et amplifications, c’est toute la subtilité et la richesse d’une culture déclinée à travers une diversité d’univers sociaux, à première vue sans commune mesure, qui nous est restituée. Nous sont aussi donnés à comprendre les ruptures historiques, la continuité souterraine et les déplacements qui ont favorisé, tels les bizutages des grandes écoles, la naissance d’usages contemporains dont la violence ou l’absurdité apparente font, périodiquement, débat.

— Giordana CHARUTY

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Écrit par

  • : directrice d'études, École pratique des hautes études, anthropologue