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PATIENCES & RÉUSSITES

Jeu de patience - crédits : W.E. Daugherty, Robinson, Ill/ Library of Congress

Jeu de patience

Les patiences sont-elles des jeux de cartes ? Nombre d'auteurs préfèrent les traiter à part. Pourtant, leur caractère ludique, même s'il est solitaire et parfois teinté d'introspection, est indéniable. Patience ou réussite ? Il semble que les deux termes soient parfaitement synonymes en français, même si le premier est un peu plus ancien et le second plus proche de la cartomancie. S'il n'y a guère de compétition dans les patiences, la notion de « duel » n'est pas évacuée pour autant : elle se déplace simplement dans le temps, le joueur individuel cherchant à battre son propre record de durée ou de réalisation.

La plupart des patiences fonctionnent selon le même schéma : le « joueur » utilise un jeu de cartes, généralement de 52 – mais des réussites se pratiquent aussi avec 32 cartes ou d'autres configurations. Après avoir soigneusement mélangé le paquet, on dispose les cartes devant soi selon des règles prescrites, le but étant de reconstituer l'agencement normal des couleurs et des valeurs, de l'as au roi, ou d'éliminer ces cartes dans l'ordre. Pour ce faire, il est parfois nécessaire de suivre un arrangement intermédiaire imposé – le « tableau » – qui s'étale largement sur la table. Cet arrangement et l'ordre d'apparition des cartes, ainsi que le délai mis à reconstituer les séries initiales, fournissent à certains des indications divinatoires. Depuis le xixe siècle, la plupart des fabricants proposent des cartes de format réduit destinées aux patiences.

Pierre Berloquin (100 Grandes Réussites, Paris, 1974) a proposé une classification des patiences qui repose sur leur mécanisme : élimination, construction de séries directes, construction de séries avec séries provisoires, constructions diverses. Les patiences du premier type sont les plus simples : les cartes sont posées selon un arrangement donné qui permet de les éliminer ; ce sont des exercices assez mécaniques, ne demandant pas grande réflexion (exemples : la « poussette », les « petits paquets »). Les constructions forment la classe la plus riche et la plus diversifiée : il s'agit ici de réordonner les cartes selon un modèle précis. Le « pont », la « quinzaine » ou, plus difficiles, la « duchesse » et le « caméléon » sont des exemples parmi d'autres. L'intérêt des réussites est qu'elles stimulent volontiers l'inventivité de certains créateurs fascinés par leur côté méthodique.

L'origine française des patiences, récemment contestée, ne fait pas de doute. Un Mémoire sur les jeux datant de 1779 fait déjà place aux « patiences », grandes et petites, et les associe à la divination par les cartes en décrivant l'une d'elles, appelée joliment « les oracles du cartier ». L'inextricable croisement des réussites et de la cartomancie est donc affirmé très tôt. On ne s'étonnera pas d'apprendre que, dans le nord de l'Europe, le mot cabale est souvent utilisé comme équivalent de réussite. Dès 1783, un recueil allemand associe « patience » et « cabale ». En français, le terme réussite apparaît peu après dans un petit manuel de cartomancie, Le Tireur de cartes, ou le Cartonomancien (Paris, an V [1797]) qui expose de véritables règles de patiences (« Manière de voir une réussite »).

La figure de Napoléon semble avoir stimulé l'imagination des « inventeurs » de réussites. Mais le premier recueil spécialisé paraît en Russie en 1829, les pays scandinaves et la Pologne suivant rapidement cette initiative. En France, il faut attendre Le Livre des patiences, par Madame de F*** (marquise de Fortia), paru en 1842 et réédité de multiples fois jusqu'à la fin du xixe siècle. La monarchie de Juillet (1830-1848) constitue sans aucun doute le premier âge d'or des patiences.

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Écrit par

  • : licencié ès lettres, ingénieur du Conservatoire national des arts et métiers, historien du jeu

Classification

Média

Jeu de patience - crédits : W.E. Daugherty, Robinson, Ill/ Library of Congress

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