DEVILLE PATRICK (1957- )
Des « romans d’aventures sans fiction »
Les lettres, les archives, les entretiens, les notes prises lors de séjours répétés, et parfois prolongés ici et là, constituent la matière première d’une œuvre foisonnante, où rien n’est inventé. Le texte est fondé sur des propos tenus devant l’auteur ou dans des ouvrages dont les références figurent souvent en bibliographie. Le roman, selon Deville, se situe au confluent du reportage, de la réflexion, du récit de découverte, de l’essai historique. Le narrateur apparaît parfois en passager clandestin ou en observateur distant, usant de la phrase avec l’élégance et l’ironie qui sont sa signature.
Le bagage du romancier est rempli de livres qui l’ont nourri dès la jeunesse, et donc d’auteurs qu’il semble avoir rencontrés : le plus souvent, des écrivains et aventuriers, tels Rimbaud, Conrad ou Malraux ; des auteurs classiques comme Montaigne peuvent éclairer Amazonia, comme Proust voyage dans Taba-Taba. La référence majeure reste cependant Jules Verne, dont l’œuvre « éclairée » l’imprègne.
L’ensemble « Abracadabra » est construit selon le principe des vies parallèles, à la façon de Plutarque. Un rêve préside à cette construction, exprimé dans Peste et choléra : « si chacun de nous écrivait ne serait-ce que dix vies au cours de la sienne aucune ne serait oubliée. Aucune ne serait effacée. Chacun atteindrait à la postérité, et ce serait justice ». La plupart des chapitres portent en titre deux noms propres en minuscule, que l’histoire rapproche ou oppose. Ainsi Brazza et Stanley incarnent-ils les visions française et britannique du continent africain. Le romancier s’attache aux « traîtres et indécis », aux héros, aux oubliés, aux vaincus méprisables, dont William Walker, esclavagiste au centre de Pura Vida, ou regrettés, comme Sandino, le révolutionnaire trahi. D’autres trajectoires le fascinent, dont celles de Che Guevara, de Trotsky ou de Gauguin. Certaines circonstances ou bien le hasard donnent à des existences une dimension romanesque : c’est le cas pour Yersin, qui identifie le bacille de la peste en pleine épidémie à Shanghai, ou pour Mouhot, qui découvre les temples d’Angkor en chassant les papillons qu’il collectionne. D’autres personnages ne sont que des silhouettes avant d’apparaître pleinement : Loti, en arrière-plan d’Equatoria, revient sous son nom de Julien Viaud, sur les traces de Gustave, son frère aîné dans Fenua. Yersin traverse de loin Kampuchéa, et son itinéraire complet fait la matière de Peste et choléra. D’une grande cohérence, l’œuvre de Patrick Deville montre le monde tel qu’il se transforme, parfois pour le pire, tout en s’inscrivant dans une perspective que résume une phrase de Cendrars : « L’optimisme est un impératif catégorique. »
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Écrit par
- Norbert CZARNY : professeur agrégé de lettres modernes
Classification
Média
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