GRAINVILLE PATRICK (1947- )
Un peintre visionnaire
La violence du monde persiste, constate le narrateur de Falaise des fous en méditant sur les catastrophes du temps, comme le coup de grisou de la mine de Courrières (1906), l’affaire Dreyfus (1894-1906), la Première Guerre mondiale : « L’homme n’aime et ne comprend au fond que le territoire. C’est la prolongation de son corps. Plus radicalement, certains sont hypnotisés par la destruction, par un goût de massacre, du néant, qui remonte du fond de l’espèce. » Pourtant, l’esprit d’humanité et de fraternité développé par les contemporains – Hugo, Zola, Jaurès – n’en persiste pas moins. Ainsi lors du désastre de Courrières, quand des Allemands de Westphalie, mieux équipés que les Français, sauvent des mineurs de la mort. L’ennemi héréditaire n’est plus ; la patrie est le monde, le temps et la vie.
À la nature insaisissable des êtres correspond l’univers des fantômes prisé par Claude Monet (1840-1926), errant au pays des miroirs et des revenants, et dont le premier tableau de la peinture moderne – Impression, soleil levant (1872) – est spectral. Moins intéressé par le réel que par son reflet troublé, l’artiste cherche l’évanouissement brumeux des formes et du monde : « La beauté est un vertige quand elle s’élève sur l’hécatombe des peuples et sur la charogne d’un siècle. »
L’œuvre de Patrick Grainville explore ce même sentiment de confusion existentielle – un désir de vivre rattrapé par la mort –, mais éloigné du mystère, captant plus volontiers les instants clairs et tangibles d’une vie crue : contemplation de la nature – souffle de la chasse et des civilisations guerrières ou paisibles – à travers l’écriture énergique de paysages splendides et de détails de scènes plus intimes.
Les livres fabriquent « une façon de barque, d’arche, des manières de Noé toujours sauvé, rescapé, entouré de tous les animaux de la Terre » (La Main blessée). Pour ne plus être seul face à la beauté et à l’horreur du monde – une sensation vertigineuse d’étrangeté –, l’écrivain restitue dans un style baroque et incisif l’ample rayonnement des mouvements changeants de nos destinées humaines.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Véronique HOTTE : critique de théâtre
Classification
Média