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TOSANI PATRICK (1954- )

Le travail de Patrick Tosani (né en 1954, à Boissy-l’Aillerie, France) a ceci de paradoxal que son auteur réalise au moyen de la photographie une œuvre non photographique au sens traditionnel du terme. Et pourtant ses images, toujours en couleurs, ne sont pas détournées de leur fonction principale, qui est de rendre compte objectivement de la réalité, et les sujets retenus sont, au contraire, très ordinaires – talons de chaussures, cuillères, tambours, mains, pieds, ongles, morceaux de viande, boulettes de mie de pain. C’est précisément parce que chez Tosani les contraintes du médium sont travaillées d’après leurs propres données matérielles et physiques (éclairage, cadrage, formats) que l’on finit par oublier ce qui nécessairement les constitue : l’espace et le temps.

Les premières œuvres photographiques de Tosani, au début des années 1980, exprimaient déjà la volonté de rendre un regard direct et banal sur les choses et, selon l’artiste, « de travailler avec les moyens les plus objectifs de la photographie : la précision, la frontalité des prises de vue, la couleur, la netteté, l’agrandissement. J’arrive, en quelque sorte, à une photographie presque scientifique, descriptive. » Tous ces paramètres contribuent à définir la problématique de l’espace et de l’échelle, qui est une constante de ses œuvres. Ces jeux scalaires vont toujours du plus petit vers le plus grand, comme dans ces petites figurines (montagnard, skieur, danseur) enchâssées dans des glaçons et photographiées de très près (1982), la photographie étant ensuite tirée en grand format (120 cm × 170 cm), ou dans les Talons (1987), où des talons de chaussures de femme, accrochés côte à côte, et qui peuvent atteindre deux mètres de hauteur. La série des Géographies (1988) montre encore plus nettement l’importance des données spatiales : des surfaces de tambours photographiées en gros plan, puis démesurément agrandies (162,5 cm × 162,5 cm) deviennent alors des topographies, véritables cartes géographiques.

Le temps est également le thème de la majorité des images de Tosani, à la fois comme une coordonnée absolument nécessaire de l’acte photographique et comme le déroulement même des choses photographiées. Le glaçon finit par fondre, le tambour porte sur la peau la marque de l’usure, les cuillères présentent les traces de leur usage répété. Le temps qui passe n’est donc pas seulement l’instant fixé, une fois pour toutes, sur la pellicule, mais aussi l’écoulement temporel qui agit sur les objets. La série La Pluie seule (1986), photographies de pluies au format 120 cm × 160 cm, est un parfait exemple de cette ambivalence visuelle, puisque ce qui n’est déjà plus reste présent dans l’image et que la pluie réelle contredit toute idée de durée.

Dans le travail sur les objets, Tosani s’est beaucoup intéressé à rendre leur texture, leurs reflets, leur coloris, leur poids, dans la mesure où l’évolution des matières conjugue dans l’image l’espace et le temps, où ils prennent inévitablement leur place. Cela l’a conduit à réaliser des images où il tentait de rendre des valeurs tactiles, notamment en présentant des dessus de têtes humaines (1992) de très près et en plongée (on ne voit donc pas les visages), des dessous de pieds en gros plans (la série Sol, 1993), ou encore d’immenses ongles rongés (1990). L’aspect charnel de l’image éclate dans la série des Portraits (1984-1985, 130 cm × 100 cm), images complètement floues de visages sur du papier Braille. Cette attitude, qui est presque un non-sens artistique, explique la démarche de Tosani qui cherche « à photographier le non photographiable ».

Dans les années 2000, après la série des Masques (2000) réalisée à partir de pantalons photographiés en perspective, le visage apparaît dans les photographies de Patrick Tosani avec des enfants auréolés[...]

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Écrit par

  • : professeur en esthétique à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, critique d'art

Classification

Autres références

  • PHOTOGRAPHIE (art) - Un art multiple

    • Écrit par et
    • 10 750 mots
    • 20 médias
    ...complexes mais invisibles, il se photographie en situation apparente d'apesanteur. Les natures mortes, le vêtement, le matériau et le corps se rejoignent chez Patrick Tosani pour construire une œuvre personnelle différente de la relation esthétique et politique que Jean-Luc Moulène entretient avec les objets...