PATRIMOINE, art et culture
Cent ans après…
Les deux premières décennies du xxie siècle semblent avoir marqué le pas au regard du dynamisme des années précédentes. Plusieurs événements, toutefois, ont contribué à susciter quelques inflexions sensibles dans l’ordre du travail historiographique et législatif et en matière de gestion et de travaux de restauration.
En 2013, un siècle après la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques, les sentiments de la population française à l’égard de son patrimoine n’étaient plus aussi favorables qu’au cours des décennies 1990 et 2000. Entre autres raisons, on pourrait invoquer la dégradation des humanités classiques dans le secondaire, qui abaisse le niveau culturel moyen, le moindre enthousiasme de la presse et de l’opinion publique qui, à l’exception peut-être des Journées européennes du patrimoine, s’étaient lassées de la répétitivité des rendez-vous annuels organisés officiellement (colloques, journées portes ouvertes, émissions de télévision au ton convenu…). De cette situation il est résulté une indifférence généralisée devant la destruction sournoise et croissante des richesses patrimoniales du pays. Au cours des années 2010, trois événements sont venus symboliser cette situation : la destruction de la halle construite à Fontainebleau par l’ingénieur Nicolas Esquillan pendant la période de l’Occupation ; le réaménagement de la grande poste de la rue du Louvre à Paris, chef-d’œuvre de Julien Guadet construit à la fin du xixe siècle ; l’annulation du permis de construire qui avait été délivré au profit de la restructuration de la Samaritaine, mais trop tardivement puisqu’une partie des constructions intéressantes venait d’être détruite.
Face à la passivité générale et à la frilosité croissante des pouvoirs publics – qui se sont particulièrement employés à entraver l’augmentation annuelle du nombre d’immeubles protégés –, la défense du patrimoine s’est organisée de façon combative sur le mode associatif, jusque devant les tribunaux. Ainsi, dans le cadre de la restauration, avant l’incendie de 2013, de l’hôtel Lambert, cet hôtel particulier construit par Le Vau dans l’île Saint-Louis, les services officiels du patrimoine ont été en butte à l’opposition d’associations beaucoup plus exigeantes en ce qui concerne le cahier des charges patrimoniales. De façon plus générale, un certain nombre d’associations de sauvegarde ont vu le jour, qui ont contesté, de façon très professionnelle, les décisions non patrimoniales des pouvoirs publics. Ceux-ci, longtemps seuls détenteurs de l’autorité institutionnelle et de la capacité d’expertise scientifique et technique, ont dû tenir compte d’une opinion publique compétente et pugnace.
L’année 2013, année du centenaire de la loi fondatrice, a permis de dresser une mise au point historiographique : publication d’études sur les travaux parlementaires qui avaient conduit au vote de la loi de 1913, sur les acteurs qui en avaient facilité la rédaction et sur le contexte politique dans lequel le Parlement avait travaillé. D’autres objectifs ont été fixés : écrire l’histoire des lois patrimoniales qui se sont succédé à partir de 1924 – date à laquelle la loi de 1913 a été effectivement mise en œuvre – et jusqu’à nos jours, ou encore mettre en évidence le travail jurisprudentiel du Conseil d’État en matière de patrimoine. Cette entreprise d’« archéologie législative », ambitieuse et nouvelle, a facilité la compréhension de l’histoire du patrimoine en France.
Dans le même temps, le ministère de la Culture s’est fixé pour objectif de présenter au Parlement une réforme du dispositif législatif dans le but de le décomplexifier et d’en combler certaines lacunes. Le projet visait, entre autres, à simplifier le régime des espaces protégés, à hiérarchiser les protections[...]
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Écrit par
- Jean-Michel LENIAUD : directeur d'études à l'École pratique des hautes études et à l'École nationale des chartes
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