PATRIMOINE, art et culture
Le patrimoine immatériel
Parmi les développements des années 2000 dont la notion de patrimoine a profité, il faut signaler ce qui a trait à l'immatériel. Cette notion s'est imposée dans le langage culturel par une voie inattendue : non pas par le constat qu'une partie considérable du patrimoine relève de l'immatériel mais en raison de l'emploi des nouveaux médias – en particulier le numérique et Internet – ainsi que des questions liées à la duplication et, de façon afférente, au droit d'auteur. D'un autre côté, la convention-cadre du Conseil de l'Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société, du 27 octobre 2005, dite convention de Faro, précise en son article 2 : « Le patrimoine culturel constitue un ensemble de ressources héritées du passé que des personnes considèrent, par-delà le régime de propriété des biens, comme un reflet et une expression de leurs valeurs, croyances, savoirs et traditions en continuelle évolution. » Ce texte, bien que de nombreux États membres ne l'aient pas encore ratifié, probablement en raison de l'idéologie étatiste qui, à tort ou à raison, peut sembler l'inspirer, marque de façon claire que les « ressources » qui expriment le patrimoine tiennent autant de l'immatériel que du matériel.
Du coup, on comprend combien la définition du patrimoine a été, sinon obscurcie, du moins entravée par l'utilisation des trois principes juridiques – immeubles, meubles et immeubles par destination – sur lesquels on a fondé la législation patrimoniale dans plusieurs pays d'Europe. Cette conception matérielle a clairement révélé ses limites, en particulier son impuissance à prendre en compte la notion d'usage à laquelle s'attachent la vitalité de l'artefact patrimonialisé mais aussi les forces qui conduisent à ses transformations au fil du temps. Elle conduit aussi à négliger les liens invisibles qui se tissent entre les choses, par exemple, l'attache à perpétuelle demeure, qui suppose que tel meuble (glaces, tableaux, statues...) orne en permanence tel immeuble, mais qui ne résiste pas devant les actes de vandalisme et les projets de transformation des propriétaires et, plus généralement, les divers rapports qu'entretient un immeuble avec les objets qu'il contient. Il faut reconnaître, à cet égard, que le concept de fonds d'archives et plus encore de fonds d'atelier est insuffisamment pris en compte (pour les archives), sinon totalement négligé pour les fonds d'atelier. De ce fait, des quantités considérables d'œuvres se dispersent en tous sens au détriment de leur signification. On garde en mémoire la dispersion de certaines collections, comme celle d'André Breton en 2003.
On prend également conscience que la conception qui s'est forgée au fil du temps, d'un patrimoine perçu sous l'angle de ses caractéristiques formelles telles que l'histoire de l'art les a constituées, néglige de multiples facettes de la patrimonialité, en particulier tout ce qui a trait aux affects et au discours. Si certains lieux résistent plus que d'autres à l'usure touristique au point de compter parmi les grands sites mondiaux (Mont-Saint-Michel, Notre-Dame de Paris, château de la Wartburg à Eisenach en Thuringe, etc.), c'est sans doute parce qu'ils sont porteurs d'une énergie exceptionnelle : on y trouve entremêlés des souvenirs historiques, des récits plus ou moins légendaires, des vestiges de théories architecturales et historiographiques, sinon des projets renouvelés d'instrumentalisation politique. Voilà ce qui confère aux hauts lieux patrimoniaux leur capacité de susciter en permanence des émotions renouvelées.
Comment rendre compte de cette immatérialité si présente et puissante qu'elle conserve sa vitalité à l'artefact matériel ?[...]
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Écrit par
- Jean-Michel LENIAUD : directeur d'études à l'École pratique des hautes études et à l'École nationale des chartes
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