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PATRIMOINE ET MIGRATIONS

L’introduction des migrations dans le champ des recherches sur le patrimoine date de la fin des années 2000. Conçue au départ comme une prérogative de l’État, l’institution du patrimoine s’est pendant longtemps consacrée à la sélection et à la valorisation des biens d’exception, favorisant la construction d’un sentiment d’appartenance nationale. L’extension du domaine patrimonial à l’immatériel, la participation grandissante d’acteurs venus de la société civile et du monde associatif à ces processus de requalification d’objets, de pratiques, de savoirs, etc., en patrimoine, ainsi que l’importance de la question migratoire dans un contexte de mondialisation ont cependant favorisé la reconnaissance progressive des liens entre fabrique du patrimoine et migration selon une perspective double : la patrimonialisation des migrations et la patrimonialisation en migration.

Les patrimonialisations des migrations/en migration

La première perspective s’intéresse au traitement de l’histoire et de la mémoire de l’immigration et à la place de l’immigré dans l’« imaginaire national » (Rautenberg, 2007). Elle interroge les rapports intimes et collectifs à la mémoire du pays ou au groupe d’origine, à la mise en récit et à la transmission de l’expérience migratoire. Les travaux consacrés à ces questions soulignent les difficultés pour les pouvoirs publics à prendre en compte ces histoires migratoires et les défis posés par la reconnaissance de groupes minoritaires, subalternes ou diasporiques que les récits nationaux ont eu pendant longtemps tendance à exclure.

La seconde perspective traite plus spécifiquement des effets de l’immigration sur les formes de transmission, de constitution et de circulation des patrimoines matériels et immatériels, qu’elles soient intimes, familiales ou publiques. L’expérience migratoire est alors envisagée comme une rupture favorable à l’émergence de pratiques patrimoniales. Le nouveau contexte de vie des migrants devient le lieu où observer la fabrique de patrimoines langagiers, alimentaires, musicaux, rituels, festifs, tout en interrogeant les représentations culturelles et les enjeux politiques qui légitiment leur transmission. L’accent est alors autant mis sur la perte par rapport au territoire d’origine, que sur les innovations et créations qui accompagnent le déplacement d’un espace à l’autre et les va-et-vient entre sphère privée et sphère publique.

Ces deux perspectives ont en commun d’interroger les processus de création de « communautés imaginées », la quête de visibilité et les enjeux de reconnaissance politique qui interviennent dans les opérations de sélection patrimoniale. Qu’elles procèdent d’une valorisation experte et scientifique, d’une volonté politique de réparation et de démocratie patrimoniale, des politiques de la ville ou d’un militantisme associatif, les patrimonialisations en/des migrations bousculent en effet les modalités d’institution du patrimoine, jusqu’alors centrée sur la valorisation d’une identité et d’un territoire national, en posant la question de la place et de la légitimité des groupes migrants, minoritaires, dans les pays d’installation et d’origine. Dans le contexte postcolonial, les débats entourant le traitement de l’esclavage ou de la colonisation, oscillant entre repentance et devoir de mémoire, révèlent bien souvent un tissu national qui se cherche, la contestation de l’écriture de l’histoire par les scientifiques et les pouvoirs publics confrontés à des mémoires conflictuelles, et l’émergence de revendications socio-économiques. Les controverses et résistances multiples qu’ont suscitées les requalifications successives de l’ancien musée des Colonies, installé dans le palais de la porte Dorée à Paris, sont un cas exemplaire des « conflits de mémoires » traversant la société française autant que[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en anthropologie, université de Paris-8 Vincennes-Saint-Denis, UMR 7218 Laboratoire architecture, ville, urbanisme, environnement

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