PATRIMOINE INDUSTRIEL AUX ÉTATS-UNIS
C'est entre la côte Atlantique et le Midwest que se rencontre la plus forte densité de témoins du passé industriel des États-Unis, même si aucun État de l'Union n'en est dépourvu. Si les éléments de ce patrimoine sont menacés de destruction rapide aux États-Unis autant qu'ailleurs, ce pays offre aussi de multiples raisons de se réjouir de l'inventivité qui se déploie à travers les modes de préservation, de réhabilitation, de réaffectation, de réintégration dans des espaces vivants, de valorisation muséologique – une muséologie parfois révolutionnaire. C'est à ces titres que l'aire considérée mérite une attention particulière.
L'histoire industrielle des États-Unis, qui est entrée dans son troisième siècle, présente dans ses premières phases de frappantes similitudes avec celle de l'Europe de l'Ouest. On y repère la même importance prise par le recours au moteur hydraulique, grâce à la densité et à la puissance de cours d'eau au fil desquels se multiplient les dénivellations propices à la captation de l'énergie. Tout au long du xixe siècle, on a construit des usines de brique abritant des fabrications textiles dont la structure et l'aspect sont bien proches de ce qui s'est bâti aux mêmes époques du Lancashire à la Catalogne, des Flandres à la Russie centrale.
Au début du xxe siècle, il est vrai, une forte différenciation s'est introduite en fonction de la taille des entreprises et de l'adoption de partis constructifs très novateurs. L'influence des deux guerres mondiales et des gigantesques efforts de production d'armements qu'elles ont provoqués s'est ici combinée à l'extraordinaire puissance de l'industrie automobile. Par ailleurs, la composition du patrimoine industriel des États-Unis reflète l'immensité du pays et la nécessité d'assurer le transport d'énormes tonnages marchands vers la façade maritime atlantique : de là l'importance, à une échelle tout autre qu'en Angleterre par exemple, de l'édification d'un système de canaux et de voies ferrées assorti d'un nombre considérable d'ouvrages d'art et de bâtiments d'exploitation. La forte croissance économique de la première moitié du xxe siècle, le poids de l'urbanisation dans certains secteurs géographiques ont enfin déterminé des phénomènes d'industrialisation du paysage aussi frappants que malaisés à assumer quand vient le temps de l'héritage.
Le temps de l'eau : du moulin traditionnel aux premières concentrations usinières
Comme la France a sa Fédération des amis des moulins, les États-Unis ont leur Society for the Preservation of Old Mills : bâtisses parfois moins antiques que les moulins européens, mais non moins chargées de passé industriel, tour à tour de bois ou de belle pierre granitique. C'est l'Américain Oliver Evans, né dans une famille de fermiers du Delaware, qui inaugura en 1775 sur la Red Clay Creek (Maryland) le premier moulin à farine à plusieurs étages qui, plaçant en hauteur le grain à moudre, organisait rationnellement sa transformation en descendant d'un niveau à l'autre. De 1793 date l'Old Slater Mill, à Pawtucket (Rhode Island), la plus ancienne usine textile mue à l'énergie hydraulique des États-Unis. Les vieux États de l'Est offrent encore quelques vestiges de l'activité qui, au tournant du xviiie et du xixe siècle, transformait les moindres vallées, comme dans la France du même temps, en véritables rues industrielles. Ainsi, à quelques miles de la grande cité de Baltimore en pleine rénovation, peut-on toujours remonter l'étroite et raide vallée de la Patapsco River, pour y visiter la petite ville d'Ellicott City : elle tire son nom d'une famille de quakers venus de Pennsylvanie à la fin[...]
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Écrit par
- Louis BERGERON : directeur d'études honoraire à l'École des hautes études en sciences sociales
Classification
Média