PATRIMOINE INDUSTRIEL EN AMÉRIQUE LATINE
C'est seulement vers le milieu des années 1980 qu'une poignée de chercheurs latino-américains – historiens, anthropologues ou ethnologues, architectes – ont commencé à s'intéresser à l'étude et à la défense des vestiges du patrimoine industriel existant à la surface des territoires méso- et sud-américains, parfois plus dans la perspective d'une histoire des luttes ouvrières que dans une vision archéologique et technique des choses. Il est vrai que, vue d'Europe, l'histoire industrielle de l'ancienne Amérique hispano-portugaise est généralement conçue comme celle d'épisodes récents, concernant principalement la fin du xixe et le xxe siècle, caractérisés par un difficile dégagement de vieilles structures et de rapports économiques traditionnels de type colonial. Cette ignorance à l'égard de phénomènes d'industrialisation propres est restée encore plus sensible jusqu'au début des années 1980 à propos des formes de travail industriel qu'a engendrées l'économie sucrière commune à tout l'arc antillais sous des dominations européennes multiples. Que dire de Cuba, où le sucre a servi de support au xixe siècle à une véritable révolution industrielle calquée sur les techniques européennes ou américaines ? On a pu parler à ce sujet de « capitalismes périphériques », dominés par l'investissement européen ou américain et conduits par des entrepreneurs au profil quelque peu aventurier. Est-ce bien là rendre un hommage approprié à la place que l'Amérique au sud du Rio Grande a occupée dans l'histoire des circulations intercontinentales de technologies et de produits comme dans celle des formes d'organisation du travail ? N'est-ce pas oublier la présence persistante de traces qui évoquent une industrialisation de plus longue durée comme une proximité parfois inattendue à l'égard des modèles européens ?
Le domaine hispano-portugais
L'héritage colonial
Une économie de plantation
L'industrialisation latino-américaine trouve ses racines aux premiers temps de la colonisation du Nouveau Monde. Les premiers foyers en ont été le Brésil, d'une part, et les plateaux et chaînes de montagnes qui s'étirent du Mexique aux régions andines, de l'autre.
Par le Brésil est entrée la canne à sucre, au terme d'un long périple qui l'avait conduite de l'océan Indien aux îles Canaries qui, dès l'époque des voyages de découverte, avaient offert une préfiguration de la future économie de la canne aux Amériques. Du Brésil elle a essaimé, par les soins notamment du commerce hollandais, vers les Antilles ; le mode de peuplement par la traite des esclaves africains a ainsi été introduit dans l'aire caraïbe.
Dans cette dernière, si peu dissociable culturellement de la Méso-Amérique, les plantations de canne assorties d'installations de première transformation se sont multipliées dès la seconde moitié du xviie siècle, de la Martinique à Saint-Domingue et à la Jamaïque. Le cycle complet de fabrication du sucre connut au xixe siècle une modernisation technologique radicale, liée à l'usage de la vapeur et aux progrès de la physique ; Cuba a recueilli et formidablement développé l'héritage des îles à sucre françaises, mais la Martinique a également connu une phase d'industrialisation spécialisée à partir du second Empire, se couvrant d'usines dites « centrales » (par rapport aux plantations). Aujourd'hui, l'intérêt est vif pour l'histoire de ces installations anciennes ou modernes à la Jamaïque comme à la Martinique (où se développe un projet de musée technique et industriel dans les anciens ateliers de la rhumerie Clément, adjacente à la superbe habitation où eut lieu une rencontre remarquée Bush-Mitterrand en mars 1991). Le service français[...]
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Écrit par
- Louis BERGERON : directeur d'études honoraire à l'École des hautes études en sciences sociales
- Myriam COTTIAS : historienne, directrice de recherche au CNRS
Classification
Médias