PATRIMOINE INDUSTRIEL EN GRANDE-BRETAGNE
La Grande-Bretagne, un musée industriel ?
La Grande-Bretagne a connu une industrialisation précoce et intense : quand elle est entrée, au milieu du xxe siècle, plus tôt que d'autres nations, dans la phase du vieillissement industriel, elle a légué à nos contemporains une masse écrasante de bâtiments vidés de leur machines et de leurs travailleurs, un réseau de voies de communications d'une incroyable densité : canaux et bassins fluviaux avec leurs écluses, innombrables gares et ouvrages d'art ferroviaires, un patrimoine portuaire sans égal au monde, avec ses quais, ses bassins, ses entrepôts.
Les Britanniques, qui ont inventé le terme et le concept d'archéologie industrielle, et dont l'inventivité dans le domaine de la muséologie technique et industrielle est remarquable, éprouvent, après un demi-siècle environ de travail sur leur patrimoine industriel, un complexe d'infériorité, un sentiment de vertige, et jugent que la préservation des bâtiments industriels abandonnés est encore dans l'enfance chez eux. Ils regardent avec envie du côté des États-Unis, dont les architectes leur paraissent plus inventifs et où le district industriel préservé de Lowell (Massachusetts) a créé un puissant pôle d'attraction touristique. Et même du côté de la France, paradoxalement...
Un tour rapide des principales régions industrielles de l'Angleterre de la Belle Époque, celle du xixe siècle, montre certes que les sites désormais devenus archéologiques se comptent par milliers, mais qu'à côté d'heureuses initiatives des risques mortels pèsent sur des monuments d'une importance capitale. En outre, le problème des bâtiments industriels en Grande-Bretagne n'est pas seulement une affaire de masse. Il se pose aussi en termes de qualité et d'historicité. Les « châteaux de l'industrie » sur lesquels, à la fin des années 1970, Maurice Culot (le créateur des Archives de l'architecture moderne) et son équipe attirèrent si justement l'attention à propos des usines lilloises, ou les hôtels et villas du patronat tourquennois si heureusement remis en mémoire par une publication de l'Inventaire général français, pâlissent encore devant les audaces, les partis pris stylistiques des architectes et ingénieurs d'outre-Manche : ainsi, à Dundee, une étonnante cheminée italianisante, seul reste d'une filature de jute ou la façade florentine de la manufacture de tapis Templeton à Glasgow (1889), ou encore l'entrée de la manufacture Marshall à Leeds, réincarnation de la puissance et de l'exotisme de l'art égyptien au coeur de la ville industrielle. Quant à l'historicité, elle tient au fait que les ingénieurs britanniques ont fondé l'art de bâtir les usines, définissant les dimensions, les volumes, la façon d'agencer l'intérieur, la combinaison des matériaux, les limites de résistance et les règles de sécurité ; Richard Arkwright, à la fin du xviiie siècle, et William Fairbairn, pour la première moitié du xixe, ont été les pionniers de l'architecture des filatures et tissages, et aussi Thomas Telford dont le nom est lié aux premiers succès de l'architecture métallique dans la construction des ponts et des équipements portuaires. Leur tradition a été continuée par des cabinets d'ingénieurs spécialisés dans la livraison des usines, qui ont contribué à l'exportation mondiale des modèles britanniques : ainsi Potts et Woodhouse, d'Oldham (cité la plus caractéristique du Lancashire cotonnier), diffusèrent-ils leur technique depuis Lodz jusqu'au quartier de Lachine à Montréal, cependant que les architectes les plus en vue imprimaient leur marque sur les édifices industriels, dont la commande ne leur semblait pas manquer de prestige (Joseph Bonomi et Thomas Ambler à Leeds, Lockwood and Mawson[...]
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Écrit par
- Louis BERGERON : directeur d'études honoraire à l'École des hautes études en sciences sociales
Classification
Média