PATRIMOINE INDUSTRIEL EN ITALIE
Pendant longtemps, il a été de rigueur en Italie d'occulter le mieux possible, à l'égard de l'étranger, l'image industrielle des villes au bénéfice de leur image exclusivement culturelle, sauf à exalter la haute qualification de tout un artisanat d'art et de luxe travaillant les matériaux les plus divers. Il est vrai, du reste, que de cet héritage artisanal bimillénaire le patrimoine artistique de l'Italie tire d'immenses bénéfices pour sa restauration ou pour son entretien. Une telle occultation est devenue inconcevable, au fur et à mesure que par son dynamisme industriel, l'Italie affirmait sa place au sein des pays développés et alors qu'en ce pays art et industrie entretiennent des liens privilégiés qui contribuent notablement au succès de cette économie. Tandis qu'à tous les niveaux les pouvoirs publics semblent décidés à s'engager dans l'immense effort de réparation et de mise en valeur qu'appelle un patrimoine artistique trop longtemps négligé, et finalement gravement en péril, simultanément s'affirme la fierté des municipalités, des régions, des entreprises à l'égard du patrimoine technique et industriel d'une péninsule inégalement gagnée par la modernisation, et, somme toute, récemment industrialisée.
Technique et industrie dans la tradition italienne
En fait, les témoignages d'une culture technique et industrielle sont partout présents sous la parure ruisselante de palais et d'églises que nos yeux de touristes ont pris la mauvaise habitude de « cadrer » trop exclusivement. L'Italie a assuré depuis l'Antiquité le transit d'innombrables techniques de l'Orient méditerranéen vers l'Europe occidentale et centrale, et l'humanisme italien a, de façon précoce en Europe, admirablement intégré à son bagage la science du mathématicien, de l'architecte ou de l'ingénieur, Léonard de Vinci étant l'exemple de cette tentative de synthèse de l'art et de la science.
L'art italien de la Renaissance n'a-t-il pas atteint des sommets dans les soixante-douze panneaux de marbre dus au sculpteur Francesco di Giorgio, que Frédéric de Montefeltre fit placer vers 1480 sur la façade de son palais d'Urbin, et qui constituent une sorte de mini-encyclopédie des connaissances techniques de l'époque ?
L'Italie du Nord, amphithéâtre de déversement dans la plaine du Pô d'eaux qui dévalent en torrents de l'arc des Alpes et de l'Apennin, partage avec la France ou avec l'Angleterre une tradition de mise en valeur des chutes d'eau naturelles ou artificielles pour l'utilisation aux fins les plus diverses de l'énergie hydraulique. C'est elle qui a donné au xvie siècle l'impulsion aux moulins à soie bolonais, diffusés en Lombardie, en Vénétie et au Piémont, et qui faillirent bien déclencher deux siècles plus tôt une transformation industrielle comparable à celle qui devait triompher au xviiie siècle en Angleterre autour du coton. Les besoins militaires des États italiens comme le patronage éclairé apporté par certaines de leurs dynasties au progrès de l'économie ont suscité les créations industrielles de la métallurgie milanaise aussi bien que le formidable arsenal de la cité des doges ou que la floraison des manufactures de la région napolitaine. À Venise, sur la Giudecca, les Mulini Stucky s'élèvent à la fin du xixe siècle, minoterie aux formes architecturales grandioses. À Turin, au lendemain de la Première Guerre mondiale, Fiat marchant sur les traces d'Henry Ford édifie, dans le quartier de Lingotto, une carcasse de béton de cinq cents mètres de long, qui demeure aujourd'hui le plus important monument historique de l'industrie automobile européenne.
Et Florence ? Cette ville au centro storico rigoureusement préservé,[...]
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Écrit par
- Louis BERGERON : directeur d'études honoraire à l'École des hautes études en sciences sociales
Classification
Médias