PATRIMOINE INDUSTRIEL EN ITALIE
Gens d'affaires et patrimoine industriel
L'un des facteurs de succès, dans le développement de l'intérêt pour le patrimoine industriel en Italie, est, à coup sûr, le fait que ses promoteurs évitent de le constituer en une spécialité fermée, réservée à des amateurs aux goûts singuliers, mais, au contraire, s'efforcent de l'intégrer à la mise en valeur globale de l'identité culturelle propre aux villes, aux provinces et aux régions. Un autre facteur non moins important réside dans l'intérêt que portent à l'affaire, en dehors des milieux de la recherche académique ou de l'action culturelle, les entreprises italiennes de toutes dimensions, souvent prêtes à collaborer avec les universitaires et avec les autorités administratives pour promouvoir des actions de toutes sortes ; si la valorisation d'une culture d'entreprise, l'entretien ou la création d'une image de marque ne sont évidemment pas absents de la motivation patronale, l'engagement va pourtant plus loin. Certains milieux économiques ont bien compris que le respect du patrimoine industriel et technique était l'une des composantes essentielles de l'enracinement dans la population d'un intérêt pour la culture technique destiné non seulement à enrichir le panthéon des gloires nationales, mais aussi à soutenir en profondeur le dynamisme industriel.
À Biella (prov. de Vercelli), dans le sanctuaire d'une industrie des tissus de laine de luxe qui continue à régner sur le marché mondial sous des marques aussi prestigieuses que celle d'Ermenegildo Zegna [le président de l'Union industrielle du Biellese n'hésite pas à présider en même temps le comité pour l'Archéologie industrielle et à soutenir l'action de] « DocBi » (Centro per la documentazione e tutela della cultura biellese), traite aussi bien du patrimoine mobilier de certains sanctuaires locaux que d'un éventail complet de sujets industriels : l'esprit d'un écomusée français, en somme. Dans cette capitale de la laine, la banque de Ludovico Sella, dont la famille remonte à des négociants montagnards du xvie siècle, conserve et classe avec un soin exemplaire l'un des plus beaux fonds d'archives anciennes d'entreprise qui existent en Europe. À Brescia, capitale de l'acier depuis la fin du Moyen Âge, un négociant retiré des affaires a créé la Fondazione Luigi Micheletti et a financé colloques et publications dédiés à l'exaltation de la créativité industrielle des Bresciani ; on trouve notamment cette fondation aux origines du lancement, en 1983, de la première revue d'archéologie industrielle Archeologia industriale, en coopération avec la Fondazione Giangiacomo Feltrinelli, de Milan. Sur une autre échelle, en 1988, à l'occasion de son vingt-cinquième anniversaire, l'E.N.E.L. (Ente nazionale per l'energia elettrica) a mis en chantier un musée consacré exclusivement à l'énergie électrique, le seul du genre en Italie et même en Europe. Simultanément se développe à La Spezia un projet de musée, intégré à un plan d'urbanisation, à l'emplacement des anciennes emprises d'une raffinerie de pétrole sous la forme d'un musée de plein air. L'usine Fiat du Lingotto, toujours propriété d'Agnelli, a été l'objet d'une réhabilitation exemplaire par Renzo Piano en 1993 sans que la réaffectation du bâtiment ait encore été menée à terme.
Il y a aussi des échecs. Ainsi Borsalino, à Alessandria, qui ne subsiste plus que comme marque commerciale, n'a pas pu faire le nécessaire, au moment de l'arrêt de la production de la grande usine qui, face au parc et à la résidence des patrons, occupait dans la ville une position centrale, pour garantir l'avenir d'une collection de modèles d'un intérêt unique dans l'histoire de la chapellerie,[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Louis BERGERON : directeur d'études honoraire à l'École des hautes études en sciences sociales
Classification
Médias