PATRIMOINE INDUSTRIEL EN SCANDINAVIE

Les industries de consommation : du textile à la bière

Le développement d'une industrie textile et particulièrement cotonnière en Norvège, au Danemark ou en Suède porte un autre témoignage de la dépendance technologique de ces pays à l'égard de leurs voisins, particulièrement à l'égard de la Grande-Bretagne. Mais il est également à l'origine de la constitution d'un remarquable patrimoine industriel et technique.

Dans la région de Borås (Suède), à 70 kilomètres à l'est de Göteborg, s'était développée depuis le xviii^e siècle une industrie lainière fondée sur le travail à domicile dans les campagnes ; au xix^e siècle s'effectua le passage au coton et, pour une part, à la mécanisation à partir des années 1830, sans pour autant que disparaisse l'organisation proto-industrielle du travail – elle survit aujourd'hui dans la maille et la confection. L'un des plus beaux témoignages du passage à la concentration est celui de l'usine achetée par Otto Åkerlund en 1898 – achetée, en effet, car l'usine « clés en mains » lui fut fournie par l'Angleterre. L'immeuble fut édifié sur les plans de Philip Sydney Stott (1858-1937), un architecte d'Oldham spécialisé dans le bâtiment industriel, sans doute le plus productif au monde puisque, entre 1887 et 1925, il fit les plans de plus de deux cents filatures pour une clientèle répartie dans le monde entier. Primitivement, l'immeuble ne comportait que trois étages ; on remarque tout particulièrement l'importance des ouvertures par rapport à la surface totale des parois, la tour fonctionnelle qui abrite l'escalier et la sobriété d'une façade de briques élégamment rythmée.

Il s'agissait là d'une usine mue à la vapeur. Tel n'est pas le cas de la manufacture de Brede, au Danemark, dont l'histoire s'insère au contraire dans une continuité, celle de l'utilisation de l'eau sur la rivière Mølle probablement depuis le Moyen Âge pour la farine, et depuis le xvi^e siècle pour de multiples usages industriels. Le bâtiment de production y rappelle les vieilles manufactures préindustrielles de notre proche Europe de l'Ouest, et le rang de maisons ouvrières nos plus anciennes expériences de logement à l'ombre de l'usine. Le voisinage d'une retenue d'eau noyée sous les arbres (familière aussi du paysage des bruks suédois, ces villages de sidérurgistes) témoigne enfin de l'appartenance de ce type de patrimoine à la grande tradition de l'utilisation de la force hydraulique jusqu'au cœur du xx^e siècle. La partie la plus ancienne de l'usine a été convertie en musée du Textile, et ses extensions plus modernes et plus vastes en une réserve du Musée national de Copenhague.

L'un des monuments nationaux du Danemark est sans conteste la puissante brasserie Carlsberg, dont le nom, le rayonnement commercial et l'emprise financière s'étendent sur une partie de la planète. Elle incarne la vigueur d'une tradition technologique qui est cette fois fortement autochtone, en dépit de l'avance prise dans ce domaine comme dans les autres par l'Angleterre du xix^e siècle. Les Danois ont depuis les premières années du xix^e siècle travaillé à transformer leurs brasseries, installations polluantes et productrices d'une boisson populaire d'exécrable qualité, en fournisseuses d'un article de haut goût garanti par la scientificité de son élaboration. La dynastie des Jacobsen sur le site dénommé Carlsberg a depuis 1847 renouvelé plusieurs fois l'instrument de production, mais en conservant comme un musée d'entreprise la partie la plus ancienne de l'établissement, dont le matériel remonte jusqu'aux années 1870 et abrite un laboratoire où vint travailler Pasteur. D'autres parties plus récentes ne sont pas moins intéressantes du point de vue[...]