PATRIMOINE INDUSTRIEL (France)
Les manufactures d'État
Tant dans le domaine civil que militaire, la monarchie absolue va en effet doter la France de bâtiments industriels prestigieux, dont l'architecture empruntée aux palais des princes magnifie le pouvoir royal. Aux xviie et xviiie siècles, la France se couvre ainsi d'un blanc manteau de manufactures et d'arsenaux, propageant jusqu'aux confins du royaume la gloire de la dynastie qui en avait ordonné l'exécution. Les gouvernements du xixe siècle poursuivront à leur tour cette politique. Ces manufactures d'État vont constituer des lieux privilégiés de conservation du patrimoine industriel. Celles des Gobelins à Paris ou de Sèvres sont les fleurons d'une industrie encore à l'abri des contraintes économiques. En les maintenant hors du secteur concurrentiel, le régime d'exception dont elles bénéficient leur permet de sauvegarder leurs savoir-faire traditionnels tout en innovant. Pour les industries qui ont cessé leurs activités, l'importance du site architectural a parfois permis de préserver les bâtiments d'une destruction totale.
Les Salines royales d'Arc-et-Senans (Doubs) fournissent l'exemple le plus accompli de cette architecture de grande ampleur. Ces salines sont exploitées dès le ve siècle pour la transformation des saumures et l'extraction du sel. Au xviiie siècle, la Ferme Générale, consortium privé qui faisait l'avance des impôts au roi et percevait ensuite la gabelle en son nom, fait édifier entre 1774 et 1779 par Claude Nicolas Ledoux un ensemble de onze bâtiments en arc de cercle décrivant la course du soleil. Cet ensemble prestigieux, œuvre d'un architecte visionnaire et conçu pour permettre une organisation rationnelle et hiérarchisée du travail, est aussi le reflet de préoccupations industrielles, le mode de distribution par pavillons convenablement séparés ayant par exemple pour but d'éviter la propagation d'éventuels incendies. L'édifice, qui abrite un musée et des lieux de conférences, fait partie du patrimoine mondial de l'U.N.E.S.C.O. depuis 1982.
Le mélange des intérêts privé et public, souligné dans le cas des Salines royales, est constant sous la monarchie française. Ce sera la marque du colbertisme, mais la pratique était en réalité plus ancienne. La manufacture royale des Gobelins doit son essor à Henri IV, qui y installe en 1601 deux tapissiers recrutés en Flandres afin d'importer en France les techniques flamandes. La manufacture produit encore actuellement pour le Mobilier national et à partir des mêmes techniques. Ce souci des rois de France de ne pas dépendre de l'étranger pour l'embellissement de leurs palais sera à l'origine d'autres impulsions industrielles, dans le domaine des glaces avec Saint-Gobain ou celui de la porcelaine avec Sèvres. Afin de ravir à Venise le monopole des glaces, Colbert crée en 1665 la Manufacture des Glaces du faubourg Saint-Antoine en réussissant à faire venir des artisans verriers de Murano. Espionnage industriel ou intelligence économique, le succès sera au rendez-vous. Cette entreprise fusionnera en 1695 avec une autre manufacture royale, celle des Grandes Glaces, installée sur les ruines du château de Saint-Gobain (Aisne), et sera à l'origine d'un groupe industriel florissant. Pourtant en 1993, le site de Saint-Gobain doit fermer. Il subsiste peu de choses de ce brillant passé industriel, si ce n'est la porte monumentale de la Glacerie et un petit musée du verre dû à une initiative privée.
La réussite de la manufacture de Sèvres est également due à la volonté royale. Au xviiie siècle, tous les souverains d'Europe rêvaient d'imiter le prince électeur de Saxe, dont les chimistes avaient réussi à percer le mystère des secrets de fabrication de la porcelaine, l'établissement de Meissen apportant la prospérité à ce petit[...]
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Écrit par
- Bruno CHANETZ : professeur associé à l'université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense
- Laurent CHANETZ : élève architecte à l'École nationale supérieure d'architecture de Versailles
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Médias