PATRISTIQUE
La théologie des écrivains chrétiens de l'époque patristique
Judaïsme et christianisme
Après le rejet par Israël de la communauté chrétienne primitive, considérée comme hérétique, et à la suite de mouvements très complexes, l'Église s'est séparée définitivement du judaïsme après 70. Comment devait-elle concevoir son rapport avec la tradition juive, à laquelle Jésus, son fondateur, appartenait ? Devait-elle aller jusqu'à la rupture radicale avec tout le passé ? Le christianisme apparaîtrait alors comme une religion nouvelle, une foi en un Dieu différent de celui d'Israël (ce dernier n'étant qu'un dieu ou démon inférieur, mauvais ou borné). Telle sera, au iie siècle, la position de Marcion et des gnostiques. Devait-elle, au contraire, garder une fidélité absolue au judaïsme, notamment aux observances de la Loi ? Le christianisme ne serait alors qu'une secte juive, le Christ un homme, qui ne serait appelé Christ ou Fils de Dieu que parce qu'il a parfaitement accompli les œuvres de la Loi. Telle sera, dès le ier siècle, la solution judéo-chrétienne. Entre ces deux extrêmes, on voit s'esquisser, puis se développer, à partir du ier siècle chez les Pères apostoliques, puis au iie siècle chez les apologistes comme Justin et Irénée, enfin au iiie siècle chez Clément d'Alexandrie et Origène, une solution qui sera celle de l'Église chrétienne en son ensemble : le christianisme est la réalisation et en même temps l'abolition du contenu de la première Alliance, de l'Ancien Testament. Celui-ci n'est que la préparation, la préfiguration, la promesse de la Nouvelle Alliance, conclue en Jésus-Christ. Dans cette perspective générale, le christianisme s'approprie toute la tradition judaïque en la transformant.
Les conséquences de cette conception sont très importantes. Tout d'abord, la théologie patristique, tout spécialement pendant les trois premiers siècles, est centrée sur la notion de plan divin concernant l'histoire du salut du genre humain. Cette histoire du salut, sur laquelle insiste particulièrement Irénée, est jalonnée d'événements historiques : la chute d'Adam, le don de la Loi à Moïse, la venue de Jésus-Christ, qui marquent les étapes de la réalisation du plan divin, de ce que les Pères appellent l'« économie » du salut. Ce plan divin est à la fois une éducation progressive du genre humain et une révélation graduée des desseins de Dieu. Dans cette perspective, l'Ancien Testament prend une importance capitale. Justin, Clément, Origène se plaisent à y découvrir les promesses, les annonces, les figures du Christ et de l'Église. C'est en effet le message évangélique qui donne à l'Ancien Testament un sens nouveau, ce sens que l'exégèse patristique cherche à découvrir en utilisant les méthodes allégoriques et typologiques. En fait, à la différence des allégoristes païens et de Philon, les allégoristes chrétiens ne cherchent qu'un seul sens, le sens « spirituel », celui qui correspond à l'événement de la venue du Christ et au développement de l'Église, qui apparaissent ainsi comme les fins de l'histoire du salut. Dans cette perspective, la notion de Logos, raison et/ou parole divine, introduite dans le christianisme par le prologue de l'Évangile de Jean, prend un relief tout particulier. C'est la raison divine qui conçoit le dessein divin du salut de l'homme, puis le réalise et l'incarne. L'Ancien Testament est parole divine et le Christ est parole divine ; c'est dans la parole divine que réside l'unité des deux Testaments. À l'idée de l'unité des deux Testaments répond l'idée de l'unité de Dieu, de l'unité du Logos, de l'unité du plan divin, de l'unité du peuple de Dieu, l'Église étant la dépositaire des promesses divines et l'unique interprète attitrée de la[...]
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Écrit par
- Pierre HADOT : professeur au Collège de France
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