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PATRISTIQUE

Patristique et philosophie

L'idée de philosophie chrétienne

On a souvent salué dans la patristique l'aurore de la philosophie chrétienne ( Étienne Gilson, Claude Tresmontant) ; les Pères de l'Église, dans leur réflexion sur le message évangélique, auraient été amenés à dégager les notions philosophiques qui y étaient impliquées, par exemple l'idée de création, l'idée de personne ou de liberté personnelle, le sens de l'histoire, l'identification de Dieu avec l'acte d'être.

À la réflexion toutefois, il est difficile de définir des notions philosophiques spécifiquement chrétiennes. La fameuse métaphysique de l'Exode (iii, 14), chère à Étienne Gilson que les Pères de l'Église auraient découverte en lisant dans ce livre l'autodéfinition de Dieu : « Je suis celui qui suis », n'a rien de bien original. Le platonisme identifiait lui aussi Dieu avec l'Étant en soi, et d'ailleurs plus d'un Père de l'Église a vu, dans cette définition, non pas celle du Père, mais celle du Fils, seul capable de se manifester à un homme. Enfin, il y a loin de l'Étant en soi, même suprême, à l'acte pur d'exister, qui, selon Gilson, serait la définition philosophique chrétienne de Dieu. La définition de Dieu comme acte pur d'être apparaît indépendamment de toute influence chrétienne, chez Porphyre, philosophe néo-platonicien. Et c'est très vraisemblablement après l'avoir reçue du néo-platonisme que Boèce a transmis cette doctrine au Moyen Âge. D'autre part, on pense souvent que la notion de personne a été élaborée à l'occasion des controverses trinitaires et christologiques. Mais, en fait, la notion de personne qui fut utilisée dans ces débats est très peu élaborée et, même chez Boèce, auteur de la célèbre définition de la personne qui fut répétée dans tout le Moyen Âge, elle ne dépasse pas beaucoup le niveau de l'idée encore élémentaire que s'en faisaient les grammairiens. Quant aux aspects modernes de la notion de personne, notamment celui de responsabilité morale, ils s'esquissent déjà dans le stoïcisme. L'idée de création n'était pas étrangère totalement à l'esprit grec ; elle avait tendance à se manifester chez certains interprètes du Timée. Enfin, il semble bien que l'on ait exagéré considérablement l'opposition entre esprit hellénique et esprit chrétien en ce qui concerne le sens de l'histoire et du progrès de l'humanité. Bien des représentations cycliques, l'idée d'une identité de la fin des choses avec leur origine dominent la pensée des Pères, notamment celle d'Origène, de Marcel d'Ancyre, de Marius Victorinus. En revanche, les Grecs n'ont pas ignoré totalement une conception linéaire de l'histoire et une certaine notion du progrès humain.

Surtout, une philosophie chrétienne n'est pas du tout un développement normal et logique du christianisme primitif. L'existence d'une philosophie qui se nomme « chrétienne » provient du fait contingent que représente la décision des Pères apologistes, notamment de Justin. Ce sont eux qui ont présenté le christianisme comme une philosophie et qui, pour parvenir à effectuer cette présentation, ont développé une doctrine du Logos et du Fils de Dieu qui n'était pas présente dans le christianisme primitif. Grâce à cette doctrine du Logos, le christianisme a même pu se présenter comme la philosophie par excellence. Ne possédait-elle pas le Logos lui-même, alors que les philosophes grecs n'en avaient reçu que des parcelles ? Cette conception de la philosophie chrétienne se retrouve plus ou moins modifiée chez Justin, Clément d'Alexandrie, Origène, Lactance et Augustin. De même que l'interprétation allégorique de l'Ancien Testament avait permis au christianisme de s'approprier à sa manière la tradition judaïque,[...]

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