AUSTER PAUL (1947-2024)
De L'Invention de la solitude à Léviathan, en passant par la Trilogie new-yorkaise et Moon Palace, les œuvres de l’écrivain américain Paul Auster trouvent pour la plupart leur source dans l'expérience d'une perte d'identité, qui va fournir la matière paradoxale de la narration, riches en jeux de miroir et digressions illusionnistes qui les rapprochent du courant postmoderne. Happé par le dehors multiple de la ville – dont New York constitue l'archétype –, capté par la mémoire inépuisable des livres, le héros des romans de Paul Auster est d’abord « un homme qui dort » (Georges Perec) qui, comme dans les contes, vient relater son voyage dans le monde parallèle des mots.
Un art de la mémoire
Né le 3 février 1947 à Newark (New Jersey), Paul Auster étudie, à partir de 1970, les littératures française, anglaise et italienne à Columbia University. Plusieurs séjours à Paris (en 1965, en 1967 et, surtout, de 1971 à 1974) lui permettent d'approfondir son intérêt pour la poésie française. Il traduira notamment Jacques Dupin, André du Bouchet, des poètes surréalistes et Le Tombeau d'Anatole de Mallarmé, et dirigera, en 1982, une remarquable anthologie de la poésie française du xxe siècle (The Random House Book of XXth Century French Poetry). Il publie plusieurs recueils de poésie (Unearth, 1974 ; Facing the Music, 1980) ainsi que des textes critiques. Paul Auster rentre à New York en juillet 1974 – une ville qui occupe une place centrale dans son œuvre, dans la mesure où elle constitue un véritable moteur de la fiction. Ce n'est qu'à partir de 1979 que s'opère le passage à la prose, avec White Spaces (Espaces blancs, 1980), inspiré par un spectacle de danse, et surtout avec The Invention of Solitude (L'Invention de la solitude, 1982). Dans ce texte fondateur, l'autobiographie, loin de se donner pour un discours de vérité, suscite sa propre fiction, élaborée à travers une structure en miroir. Dans la première partie (« Portrait d'un homme invisible »), à la suite de la mort de son père, Paul Auster s'efforce de recueillir les traces de son existence. Peu à peu, il l'« invente », le recrée, et remonte aux origines de la filiation. Dans la seconde partie (« Le Livre de la mémoire »), le nom propre s'efface, la narration se fait à la troisième personne : errant entre New York et Paris, A. fait l'expérience de l'inquiétante étrangeté, celle qui rassemble dans une proximité aléatoire l'Ancien et le Nouveau Monde, la mémoire individuelle et celle qui n'appartient qu'au jeu des signes. À mesure qu'il rapproche ces univers parallèles, qu'il se situe à leur improbable point de jonction, une autre temporalité se dessine – une inactualité spectrale qui est le propre de l'écriture : « Le monde extérieur, le monde tangible de la matière et des corps semble n'être plus qu'une émanation de son esprit. Il se sent glisser à travers les événements, rôder comme un fantôme autour de sa propre présence, comme s'il vivait quelque part à côté de lui-même – pas réellement ici, mais pas ailleurs non plus. »
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Écrit par
- Gilles QUINSAT : écrivain
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Média
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