BAUDRY PAUL (1828-1886)
Dans le kaléidoscope de la peinture du xixe siècle, Paul Baudry représente une des tendances qui a le moins bien survécu : celle d'une peinture décorative fortement inspirée des exemples vénitiens et romains, reprenant les registres d'une mythologie aimable ou de l'allégorie la plus traditionnelle, jointe à une sensualité et à un esprit tout « modernes ».
Dans les années 1850-1880, restant à part du mouvement réaliste ou du lyrisme des peintres de l'école de Barbizon, à l'opposé des recherches des impressionnistes, sans céder à ce goût du primitivisme qui fait l'attrait des préraphaélites, Baudry semble installé dans un conformisme qui, de Bouguereau au tardif Paul Chabas, définit la peinture pompier. En fait, un tel point de vue est totalement erroné, dans la mesure même où il prend pour académisme ce qui est l'originalité même de Baudry : un effort pour revenir à la grande peinture, alors que le goût de la description et de l'anecdote triomphe, une manière de rénover la tradition, alors que celle-ci est exsangue, en l'adaptant au goût second Empire d'une société triomphante.
Prix de Rome en 1850 avec une Zénobie trouvée sur les bords de l'Arax (École des beaux-arts, Paris), Baudry choisit très vite la place qui sera la sienne avec son envoi de Rome au Salon de 1857, La Fortune et le Jeune Enfant (musée d'Orsay, Paris), sujet tiré de La Fontaine (« La Fortune sauve l'Amour endormi sur une margelle »). Si Baudry prend encore ses sujets dans la fable, c'est dans la fable moderne. Quant aux citations, elles viennent directement de Titien et de son Amour sacré et Amour profane. Cette grammaire traitée avec un certain sourire et quelque peu de maniérisme allait faire de Baudry le Prudhon des années 1870. La Toilette de Vénus (1859, musée de Bordeaux), plus que la Charlotte Corday venant d'assassiner Marat (1861, musée de Mantes), définit bien la manière d'un peintre paralysé dans la reconstitution historique, parfaitement adapté au vocabulaire mythologique, d'une sensualité froide et qui sait ne pas tomber dans la fadeur énervée de Bouguereau.
À l'évidence, la grande réussite du peintre, ce sont ses ensembles décoratifs : le plafond de l'hôtel de la Païva, celui de la Cour de cassation et surtout le décor du foyer de l'Opéra (1865-1874) en témoignent. Au foyer de l'Opéra, le programme est d'une grande ambition et sa lecture mérite la même attention que les ensembles de Delacroix, sinon des Carrache. Les réminiscences sont claires (les putti corrégiens qui définissent les caractères des diverses nations d'Europe), le coloris large et volontiers discordant, le dessin nerveux et presque bellifontain. C'est là une des œuvres les plus fortes du xixe siècle. La qualité du portraitiste (Edmond About, Charles Garnier) suffirait à montrer que Baudry ne s'enferme pas dans une formule. Représentant éminent du style pompier, il est vraiment le néo-académique que méritait une époque agitée, riche et d'un éclectisme insolent, cette époque qui refusa l'impressionnisme.
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Écrit par
- Bruno FOUCART : professeur à l'université de Paris-Sorbonne
Classification
Média