BÉNICHOU PAUL (1908-2001)
La difficulté, voire l'impossibilité de classer dans un genre délimité l'œuvre de Paul Bénichou donne la mesure de sa nouveauté. Faute d'une meilleure appellation, on pourrait accepter celle d'histoire des idées ou d'histoire de la littérature. Ni une appellation ni l'autre ne rendrait suffisamment compte cependant de la forme spécifique que les idées revêtent dans la littérature ou de ce qui est en jeu dans la circulation de celles-ci : l'irréductibilité des valeurs aux faits. Inlassablement, le souci de Paul Bénichou consiste à rassembler, analyser, éclairer, transmettre le sens des œuvres, engageant avec leurs auteurs l'échange des consciences virtuellement infini où s'élaborent des préoccupations toujours actuelles. À l'écart des modes et des mots d'ordre, comme de toute polémique, l'œuvre est celle d'un humaniste qui se revendique pleinement comme tel. Tout discours antihumaniste est à ses yeux une proclamation désastreuse et contradictoire. Paul Bénichou a gardé de la confrontation avec les événements de son siècle la volonté de ne jamais dissocier les textes et les doctrines étudiés de leurs implications éthiques, politiques, ni de la nature du lien social qu'ils proposent.
Entre l'écriture et la voix
Paul Bénichou est né en 1908 à Tlemcen, en Algérie, dans une famille juive algérienne du côté de son père et juive espagnole du côté de sa mère. L'alliance est décisive, qui unit l'importance du livre, celle de la Bible au premier chef, et de la tradition orale. Paul Bénichou recueillera au sein de sa famille des « romances » chantés remontant au xive ou au xve siècle et publiera en 1968 le Romancero judeo-español de Marruecos. Après des études au lycée d'Oran, puis à Louis-le-Grand, où il se lie d'amitié avec Ferdinand Alquié et découvre le surréalisme, il intègre l'École normale supérieure, passe l'agrégation de lettres, enseigne dans le secondaire. Révoqué de l'enseignement sous Vichy en application du statut des Juifs, il trouve finalement un poste en Argentine, où il restera jusqu'en 1949. Là, il rencontre Borges, dont l'importance est pour lui comparable à celle de Mallarmé, le traduit – avec sa fille –, écrit des articles sur son œuvre. Il publie en 1948 les Morales du grand siècle, brillante synthèse dont le succès le fera considérer, pendant un temps, comme l'auteur de ce seul livre. À son retour en France, Paul Bénichou retrouve l'enseignement secondaire jusqu'en 1958, puis enseigne à Harvard jusqu'en 1979 et entreprend, à partir de 1973, avec Le Sacre de l'écrivain, la publication de sa magistrale étude du romantisme français, qui se poursuit avec Le Temps des prophètes (1977), Les Mages romantiques (1988), L'École du désenchantement (1992), Selon Mallarmé (1995).
Avant d'écrire, chaque peuple a chanté : à la tradition orale, la poésie populaire et la chanson, si dédaignées en France, est conférée une importance capitale, celle d'être dépositaire d'une culture, mais aussi de constituer un domaine d'études privilégié des différences et des variantes, un laboratoire de la fabrication poétique. Ainsi Gérard de Nerval, dont l'œuvre est étudiée dans L'École du désenchantement, fait l'objet d'un premier ouvrage autour du recueil de chansons populaires et de ballades qu'il a publié (Nerval et la chanson folklorique, 1970). À bien des égards, en outre, ce sont certains thèmes du romancero et des anciennes chroniques castillanes que Paul Bénichou pourra retrouver dans l'héroïsme cornélien et dans son amour de la gloire. L'originalité de cette perspective, qui unit la plus grande érudition à un rapport vivant aux textes et aux traditions, engage la conception de la littérature et la méthode qui sont celles de[...]
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Écrit par
- Françoise COBLENCE : professeur émérite, université de Picardie-Jules-Verne
Classification
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