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CELAN PAUL (1920-1970)

Poésie et mémoire

Dans les neuf recueils publiés ou préparés par Celan (le huitième est posthume, le neuvième inachevé), les quatre premiers ont chacun leur homogénéité de ton et une facture différente, de Pavot et mémoire à La Rose de personne (1963), en passant par De seuil en seuil (1955) et Grille de langage. On y suit l'élaboration et le déploiement d'un langage propre. Les formes de la tradition éclatent ; leur réinvention s'amplifie au cours d'une progression qui trouve son point culminant dans les grandes rhapsodies du cycle IV de La Rose de personne. Un terme a été atteint après lequel l'art entre plus librement encore, de façon plus condensée, sinon cryptique, en dialogue avec lui-même (Tournant de souffle, 1967 ; Soleils de fil, 1968 ; Contrainte de lumière, 1970 ; Part de neige, 1971 ; et Enclos du temps, 1976). La forme concise et aphoristique souligne le caractère réflexif et intellectuel de ces notations. Le modèle de ces réductions esthétiques d'un art volontairement « mineur » a été déjà élaboré antérieurement. L'invention s'y exprime et s'y explore elle-même.

Ce sont des exercices de lecture difficiles, imposés par la précision d'un langage codé, qui s'ouvre à ses propres prouesses et à ses échecs, à sa réflexion interne. La virtuosité se devine ; elle attire. En fait, ils ne se communiquent qu'au prix d'un long apprentissage, quasi technique.

Il y a lieu aujourd'hui de distinguer l'œuvre que Celan a composée en conservant largement l'ordre chronologique de l'écriture. Les recueils publiés conservent l'apparence d'un journal intime et d'un dialogue avec soi, qui accompagne son existence. De ces ensembles composés par lui, on a fait connaître ces dernières années, dans des éditions critiques, une bonne partie des différents états, y compris ce qu'il avait éliminé. Il y a ainsi des textes de jeunesse où il n'avait pas atteint à ses propres yeux la plénitude de son art, et d'autres qu'il a délibérément rejetés. Nous avons donc aujourd'hui, par rapport à un plan méthodique, que l'on voit s'édifier et qu'il a lui même suivi, un autre regard, sur une œuvre plus ouverte et plus éclatée, qui inclut les cartons de l'atelier, les ébauches et les ratés, du fini abandonné et de l'inachevé.

Les grandes compositions se font rares après La Rose de personne. Elles réapparaissent sporadiquement dans Tournant du souffle, que Celan, en raison de la liberté acquise, a pu considérer lui-même comme un sommet de son art. Avec Grille de langage (plutôt que de parole), s'était affirmée une facture insolite, longtemps considérée comme inintelligible. Elle n'était intelligible que sous condition. Ainsi le poème « Strette », l'un des premiers qui ait fait connaître Celan en France, en 1968, devient compréhensible quand on y lit la quête de l'endroit unique où le langage se reconstitue. La « grille » est un espace de cristallisation de la substance poétique, elle évoque le réseau où les mots sont attirés. La destruction de l'humain qui a eu lieu dans l'extermination des Juifs peut être reconnue et même intégrée, du seul fait que rien ne peut plus être dit sans que soit incluse cette référence.

La correspondance interne relie l'infiniment petit, les phonèmes, dans leur tonalité. L'anéantissement peut être visé clairement dans certains textes, jusqu'aux baraquements et aux instruments de torture, mais il ne l'est pas moins dans d'autres poèmes, où il n'est pas dans l'objet.

La matérialité physique est seconde même dans ce cas. Ce qui importe, c'est la faculté de redire sans rien assimiler à aucun des systèmes de la pensée et de la parole préalablement constitués. Ainsi, il y a des mots hébreux, les mots[...]

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Paul Celan, 1967 - crédits : Ullstein Bild/ AKG-images

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