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CÉZANNE PAUL (1839-1906)

La popularité de Cézanne n'a probablement jamais été aussi grande qu'un siècle après la première grande exposition que lui consacra son marchand, Ambroise Vollard, en 1895, et qui le révéla véritablement à ses contemporains. La reconnaissance avait été longue à lui venir : elle fut d'abord le fait de jeunes peintres comme Émile Bernard ou Maurice Denis qui virent en lui un maître autant qu'un précurseur, puis de quelques rares critiques perspicaces, Gustave Geffroy, Thadée Natanson, Roger Marx, Rilke. Le rôle des amateurs est tout aussi essentiel, de son vivant comme après sa mort : Victor Chocquet, Auguste Pellerin, Albert Barnes ont, chacun à sa manière, contribué à donner sa stature définitive à un peintre dont ils possédèrent des ensembles exceptionnels. Décrié à ses débuts, et encore assez tard dans sa vie, Cézanne est aujourd'hui une figure capitale de l'histoire de l'art. Sa participation au mouvement impressionniste, somme toute relativement mineure, compte moins ici que la place qu'il occupe entre le xixe et le xxe siècle, entre d'une part le romantisme de Delacroix et le réalisme de Courbet, qui le marquèrent si fortement à ses débuts, et, de l'autre, les mouvements de la peinture contemporaine depuis le cubisme qui, à des degrés divers, se réclamèrent tous plus ou moins de lui.

Il n'est pas sûr que le bruit fait maintenant autour de son œuvre aurait vraiment réjoui le Cézanne des dernières années, qui redoutait par-dessus tout qu'on le récupérât, qu'on lui mît “le grappin dessus”. La peinture fut pour lui avant tout un travail d'ouvrier, un travail solitaire, sauf à de rares moments, presque pénible, pratiqué sans interruption. De même le dessin, dont on oublie trop souvent qu'il s'agit d'un élément essentiel de son processus créatif. Il plaçait très haut les fins de l'art, voulant produire des tableaux “qui soient un enseignement”. Aussi ces derniers sont-ils de plus en plus réfléchis au fur et à mesure qu'il vieillit, mûris dans l'introspection d'un artiste qui, cependant, se donnait comme premier maître la nature : “On n'est ni trop scrupuleux, ni trop sincère, ni trop soumis à la nature ; mais on est plus ou moins maître de son modèle, et surtout de ses moyens d'expression”, écrivait-il en 1904. Cette tension entre la réalité objective et sa transposition esthétique est au cœur de sa démarche. Ainsi s'explique pourquoi Cézanne a pu être un modèle pour les générations qui l'ont suivi, alors même qu'elles employaient des chemins divers et contradictoires entre eux. Quant aux critiques et aux historiens qui n'ont cessé d'interroger son œuvre, ils ont peut-être moins apporté d'explications sur son travail qu'ils n'ont en définitive révélé les préoccupations et les débats de leur propre époque. La recherche est loin d'être close, et ce n'est pas là le moindre paradoxe de l'héritage cézannien.

Une vie de peintre

L'existence de Cézanne décourage l'amateur d'anecdotes : entre Aix et Paris, la Provence et l'Île-de-France, l'artiste semble ne s'être consacré qu'à son œuvre. Quelques amitiés, parfois ferventes, mais jamais éternelles, peu de relations, essentiellement d'affaires ou de travail, une vie de famille réduite à l'essentiel : une femme qui lui donne un fils, ses parents, sa sœur et son mari, leurs propres enfants. Cézanne n'a pas recherché le contact de ses contemporains. Il n'est ni un peintre lancé dans les milieux littéraires et artistiques de son temps comme Manet, ni un homme du monde comme Degas. La notoriété lui est tardivement venue ; et même alors, il redoute les importuns. Aussi ne sait-on de lui que ce qu'il a bien voulu dire, des propos pieusement recueillis, parfois arrangés, qui nous renseignent surtout sur ses idées et ses[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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<em>Château-Noir</em>, P. Cézanne - crédits : Luisa Ricciarini/ Bridgeman Images

Château-Noir, P. Cézanne

<it>Neige fondue à l'Estaque</it>, P. Cézanne - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Neige fondue à l'Estaque, P. Cézanne

<it>La Montagne Sainte-Victoire</it>, P. Cézanne - crédits :  Bridgeman Images

La Montagne Sainte-Victoire, P. Cézanne

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