CÉZANNE PAUL (1839-1906)
Thèmes et interprétations
L'œuvre de Cézanne se développe dans quelques grands genres hérités de la tradition classique : le paysage, le portrait, la nature morte. Les sujets proprement dits sont souvent identiques quelle que soit la période envisagée : ainsi pour les portraits, qui nécessitaient, au dire des souvenirs de certains modèles, d'interminables, lassantes et multiples séances de pose, où le peintre requérait l'immobilité complète et qui, pour la plupart, sont donc principalement des autoportraits de Cézanne lui-même ou des portraits de sa femme, probablement plus soumise ou plus arrangeante. Les premières natures mortes, comme les figures nues dans un paysage, dont les Grandes Baigneuses sont l'aboutissement, remontent aux années de jeunesse. Aussi est-il facile de minorer, dans l'analyse, la part propre du sujet. Et tel a été le cas dans les trente ans qui suivirent la mort de Cézanne, où critiques et historiens d'art privilégièrent les critères formalistes, dans la perspective moderniste qui faisait de lui le précurseur du fauvisme, du cubisme et des débuts de l'abstraction. Au temps du retour à l'ordre, il est plutôt l'héritier de Poussin qui perpétue la tradition du paysage classique. Les surréalistes insisteront, eux, sur les œuvres du début, aux sujets mystérieux et sombres. Les années 1950-1970 sont celles d'un retour à l'analyse formelle, avant qu'un nouveau coup de balancier ne relance les interprétations fondées sur les intentions de Cézanne exprimées au travers du sujet même de ses tableaux (une idée qui n'avait jamais, il est vrai, totalement disparu). Les grandes expositions des années 1980-1990 sont comme un résumé de ces diverses positions. Le Cézanne des années de jeunesse est, le plus souvent, au centre des débats : le sujet y est, il est vrai, beaucoup plus apparent, par exemple dans Une moderne Olympia, sans compter les nombreuses scènes aux allusions sexuelles plus ou moins transparentes, où il est facile de reconnaître les pulsions tourmentées de l'artiste. Mais on a pu aussi de façon convaincante retrouver ces mêmes allusions dans des tableaux aussi innocents a priori que la Nature morte aux oignons ou Pommes et oranges. D'un autre point de vue, il faudrait sans doute reconsidérer son rapport au classicisme, le rapprochement avec Poussin se justifiant moins dans l'ordre formel que dans celui de la signification même du sujet. Les crânes de la fin ne sont-ils pas une reprise du thème ancien de la Vanité ? Il convient aussi, dans cette perspective, de réévaluer l'importance de ses lectures (voire de ses goûts musicaux, en particulier pour Wagner) : on sait combien celle de Flaubert fut pour lui essentielle, mais ses connaissances remontaient aux auteurs grecs et latins qui eurent également leur part d'influence. On tend maintenant à prendre en compte ces différents aspects, sans être encore en mesure de proposer une interprétation synthétique de l'œuvre. Celle-ci est-elle vraiment possible ? Est-elle même nécessaire ? Le champ reste en fait très ouvert, compte tenu de la clarification opérée entre les différents courants historiographiques et les enjeux qu'ils ont soulevés. Il y a sans aucun doute beaucoup à méditer dans ces propos du peintre : “Dans ma pensée, on ne substitue pas au passé, on y ajoute seulement un nouveau chaînon.”
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Écrit par
- Barthélémy JOBERT : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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Médias
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