ESTOURNELLES DE CONSTANT PAUL D' (1852-1924)
Prix Nobel de la paix en 1909, Paul Balluet d'Estournelles de Constant de Rebecque (La Flèche, 1852-Paris, 1924) est le petit-neveu de Benjamin Constant, dont il hérite de l'esprit cosmopolite et de l'inclination pour les lettres. Élève du lycée Louis-le-Grand, il passe son baccalauréat au lycée français d'Athènes où sa mère l'avait inscrit pour qu'il échappe aux affres de l'« année terrible » (1870). À son retour, il prépare avec succès une licence en droit, un diplôme de grec moderne, puis intègre en 1876 par voie de concours le ministère des Affaires étrangères. Il est chargé de mission au Monténégro à l'heure du congrès de Berlin, secrétaire d'ambassade en Tunisie de 1882 à 1884 pour la mise en place du protectorat, chargé d'affaires à La Haye puis à Londres.
Depuis cet « observatoire du monde », d'Estournelles perçoit l'amorce d'un transfert des centres géopolitiques, l'émergence de « pays neufs » face à un vieux continent qui multiplie par sa « mégalomanie coloniale » les sources de conflits et de dépenses improductives, au lieu de s'organiser pour soutenir l'assaut de la concurrence universelle. En 1895, il quitte la « carrière » pour porter ses réflexions sur la scène politique. Il représentera la Sarthe à la Chambre des députés jusqu'en 1904, sur les bancs de la gauche démocratique, puis au Sénat jusqu'à sa mort. L'essentiel de son activité parlementaire est consacrée à la promotion du protectorat contre l'annexion en matière coloniale – position déjà défendue dans son ouvrage La Politique française en Tunisie, récompensé en 1892 par l'Académie française –, le règlement pacifique des contentieux avec l'Angleterre et, plus largement, à poser l'union des pays européens comme inéluctable. Sa connaissance des relations internationales lui vaut de représenter la France avec Léon Bourgeois et Louis Renault aux conférences internationales de la paix réunies à La Haye en 1899 et 1907, et d'y œuvrer à la création d'une cour permanente d'arbitrage, qui serait morte d'inanité s'il n'avait obtenu en 1902, de Theodore Roosevelt, la première affaire déférée à la juridiction, dite des « fonds pieux de Californie ».
Les préceptes de d'Estournelles en matière d'entente européenne résultent d'une prise de conscience précoce d'un possible déclin du vieux continent. S'il réfléchit un temps à l'idée d'un Zollverein à l'échelon européen, il ne livrera cependant jamais une réflexion structurée sur ce point. Selon lui, le débat n'en est pas là : avant d'examiner les conditions d'une association des patries européennes, il s'agit d'abord d'emporter la décision politique de la sceller, en réglant les contentieux sur le modèle du traité bilatéral d'arbitrage franco-britannique de 1903, dont il est l'inspirateur. De plus, en raison de l'accueil réservé outre-Atlantique à son action, en particulier par Andrew Carnegie et par le président de l'université Columbia, Nicholas Murray Butler, qui estime à l'égal de celui de Tocqueville son jugement du peuple américain, d'Estournelles s'avère plus occidental qu'européen.
Sa démarche renseigne sur les méthodes d'une action internationaliste soucieuse de rendre accessible aux « masses » une problématique élaborée parmi les élites. Faute de parvenir à instituer pour les États le principe d'une sanction militaire en cas d'agression, la campagne d'« éducation de l'opinion » qu'il entreprend dès 1899 en faveur de l'arbitrage international aspire à ériger les peuples en juges de la moralité des chefs d'État, entre autres par une revitalisation de l'Union interparlementaire.[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Laurent BARCELO : professeur certifié d'histoire-géographie, docteur en histoire, chargé de cours à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification