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ELUARD PAUL (1895-1952)

« Liberté, j'écris ton nom... »

Mais cette description de La Vie immédiate de Paul Eluard, sans être inexacte, ne serait pas vraie du tout. Les catastrophes de son temps, les soubresauts de l'histoire auront pour Eluard un caractère aussi immédiat que les accidents ou les clartés de son destin individuel. Il a raconté lui-même que le poème qui devait le rendre célèbre au-delà des cercles d'amateurs de poésie, Liberté, écrit en 1941, fut d'abord, dans la première nébuleuse d'où émergeaient les mots, un poème d'amour ; qu'il s'intitulait primitivement Une seule pensée, que cette pensée était, à sa naissance, celle de la femme qu'il aimait ; et que c'est seulement au fur et à mesure que la litanie amoureuse s'élargissait que le poète prit conscience que son poème ne concernait pas seulement un homme écrivant le nom de son aimée, mais tous les hommes du monde, alors en proie à la servitude, écrivant le nom de l'amour qui les résume toutes : celui de la liberté.

C'est qu'Eluard a eu des idées générales sur la condition des hommes, a beaucoup réfléchi sur le travail du poète, sur l'histoire de la poésie (dans ses essais, Avenir de la poésie, 1937 ; Donner à voir, 1939, comme dans ses importantes anthologies), sur la politique (dans de nombreux articles et discours), sur la philosophie. Mais on peut dire de lui qu'il n'a jamais eu d'opinions, au sens où on a une opinion comme on a une maison, un stylo, ou une automobile. Ce poète qui se voulut, avec une obstination à la fois admissible et parfois mal récompensée, un militant, un agitateur politique, n'a jamais parlé que de ce qui le concernait profondément. Il souhaitait réhabiliter la « poésie de circonstance », et il l'illustra de quelques chefs-d'œuvre. Mais c'est que, dans son cas au moins, la circonstance historique n'a jamais eu une autre dimension ni ne s'est accomplie dans un autre espace que celui du dedans. Dans un recueil comme Cours naturel (1938), les poèmes d'amour et le poème intitulé « La Victoire de Guernica » n'apparaissent pas comme différents d'inspiration, de source et de ton. C'est précisément parce qu'Eluard sait de première vue, de première vie, de première main que l'accord des êtres est possible, que l'harmonie est sensible, que, « si nous le voulions, il n'y aurait que des merveilles », que le saccage de ces trésors par la bêtise-haine au front de taureau le soulève de dégoût, qu'il n'a pas besoin de « se mettre à la place » des innocents qui meurent sous les bombes de Guernica : il est à leur place. Il découvre « son bonheur personnel dans le bonheur de tous », son malheur à lui dans le malheur de chacun.

L'eau limpide du bonheur, de la reconnaissance de soi-même par l'autre dans l'illumination amoureuse, dans la fraternité des vivants court à travers toute l'œuvre d'Eluard. Il parle d'une voix blanche comme un ciel pâle et doux de soleil et de légère brume, enfantine dans le prime-saut des images et des sensations. Une voix qui semble n'être la voix de personne en particulier, quasi adamique, le murmure du premier homme et de tous les hommes tenant dans leurs bras la première femme et toutes les femmes. Voix de l'existence à la crête de l'émerveillement d'être, dans l'illusion peut-être véridique que le temps s'est suspendu dans la sensation presque physique de l'éternité :

Aujourd'hui lumière unique Aujourd'hui l'enfance entière Changeant la vie en lumière Sans passé sans lendemain Aujourd'hui je suis toujours.

Cette poésie ne « parle » pas de la légèreté d'exister, de la grâce : elle la fait vivre parce qu'elle la vit. Ce n'est jamais un discours didactique sur les possibilités radieuses[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'université de Paris-IV
  • : écrivain

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Exposition surréaliste de Londres - crédits : Evening Standard/ Getty Images

Exposition surréaliste de Londres

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