ELUARD PAUL (1895-1952)
Eluard le violent
Eluard le voyant-transparent peut être, doit devenir aussi Eluard le violent, le rebelle. Il projette, face à cette société qu'il veut contribuer à ruiner, l'image d'une contre-société qui n'est pas simplement une « vue de l'esprit » dans la mesure où il a l'expérience immédiate d'une autre façon d'être, d'un autre pacte des vivants avec les vivants, d'un autre état de vie. À travers le dadaïsme, le surréalisme, le stalinisme, c'est la même démarche obstinée, démentie souvent, mais jamais réfutée. « Si nous le voulions, il n'y aurait que des merveilles. » Quand Eluard célébrera Joseph Staline, à l'occasion de l'anniversaire de celui-ci, il n'écrira pas un de ces innombrables et sinistres péans flagorneurs qui s'élèveront de la Russie écrasée et de la bouche des dupes ou des complices occidentaux ; il écrira un très beau poème qui ne fait pas le portrait d'un homme historique, mais d'une terre promise et donnée. Un poème qui n'est tragique que par l'écart entre la vision et ce que notre regard découvre.
Au cours des dernières années de sa vie (il devait mourir en novembre 1952, avant la mort de Staline et le XXe Congrès), il arrivait aux admirateurs d'Eluard de regretter que le sublime poète de l'amour sublime se fût « encanaillé » dans la politique et qu'Ariel se fût « engagé » avec Caliban.
Quand on suit la longue respiration ininterrompue de la poésie d'Eluard, il semble au contraire qu'on ne puisse séparer le poète « amoureux » du poète « pour tous », comme il disait. Ce n'est pas malgré sa ressource inépuisable de révolte, sa perpétuelle revendication « utopique » qu'Eluard a été un grand poète, le poète, aussi, de ce rapport modèle entre les êtres, de cette relation étalon : l'amour. Ce n'est pas au détriment de sa vision la plus radieuse des ressources de l'esprit humain qu'il aura manié les rames de l'indignation, de la dénonciation.
Si le poète de L'Amour, la poésie (1929) et du Phénix (1951) n'a jamais laissé tarir son ruissellement de mots limpides, c'est aussi, c'est d'abord grâce à sa ressource de stupeur, de colère et de rage très raisonnable. On pressent ce qui aurait pu gâter cette œuvre, en effet, si elle n'avait pas été soutenue et transportée par l'inapaisable violence d'un perpétuel « jeune homme en colère ». Il lui arrive d'effleurer la mièvrerie, de côtoyer la puérilité et de risquer de tomber de l'innocence authentique dans l'imagerie d'Épinal de la naïveté. Mais si Eluard évite la plupart du temps ces périls, c'est parce qu'il est en même temps le témoin de la grâce d'exister et un démolisseur de ruines, un ange expérimental et un archange combattant et furieux.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- ETIEMBLE : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'université de Paris-IV
- Claude ROY : écrivain
Classification
Médias
Autres références
-
BRETON ANDRÉ (1896-1966)
- Écrit par Marguerite BONNET
- 4 872 mots
- 1 média
...esprits viennent à Breton qui anime la revue Minotaure. Avant même que se tienne à Paris la première exposition internationale du surréalisme, en 1937 (Dictionnaire abrégé du surréalisme en collaboration avec Eluard), des manifestations du mouvement l'appellent en divers points du monde. Malgré son... -
CAPITALE DE LA DOULEUR, Paul Eluard - Fiche de lecture
- Écrit par Pierre VILAR
- 874 mots
- 1 média
Lorsque paraît en 1926 Capitale de la douleur, aux éditions Gallimard, le poète qui signe Paul Eluard (Eugène Grindel a choisi ce pseudonyme en 1916) rassemble en un seul volume deux périodes de sa vie, deux époques de son œuvre. L'ambiguïté du titre dit assez la cohérence de deux façons de voir...
-
GALA ELENA DIMITROVNIE DIAKONOVA dite (1892 env.-1982)
- Écrit par Jean-Charles GATEAU
- 910 mots
Gala existe surtout comme figure tutélaire du surréalisme, à l'interférence des œuvres de Paul Eluard, de Max Ernst et de Salvador Dalí.
Née vers 1892, Elena Dimitrovnie Diakonova, fille d'un avocat russe, étudiante, soigne une affection pulmonaire (ou psychique, selon La Vie secrète...
-
SURRÉALISME - Histoire
- Écrit par Ferdinand ALQUIÉ et Pierre DUBRUNQUEZ
- 11 416 mots
- 3 médias
...numéros à côté des signatures plus sages d'un Gide ou d'un Valéry, donnent d'emblée la mesure des ambitions de ses trois directeurs que rejoindra bientôt Paul Eluard ; former un groupe qui, par-delà la révision des formes de l'art, puisse efficacement intervenir sur la question de sa destination : « Pourquoi...