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FEJOS PAUL (1897-1963)

Metteur en scène de cinéma, d'origine hongroise, Paul Fejos est méconnu malgré la célébrité de l'un de ses chefs-d'œuvre, Lonesome (Solitude), réalisé en 1928 à la jointure du muet et du parlant. Vers la fin du film, l'apparition de scènes dialoguées procurait au spectateur un grand choc, un peu comme si nous assistions à la naissance de la parole. Solitude raconte, avec une tendresse et une délicatesse de touche inégalables, la rencontre de deux jeunes gens solitaires dans la grande ville. S'étant perdus dans la foule d'un luna-park sans avoir eu le temps de se demander leur nom, ils désespèrent de se retrouver un jour quand ils découvrent, in fine, qu'ils sont voisins de palier. La beauté de cette œuvre vantée par tous les historiens de cinéma a malheureusement eu pour effet de cacher le reste de l'œuvre de Fejos, pourtant assez fournie.

Éclectique et cosmopolite, Fejos tourna d'abord en Hongrie, sa terre natale, ensuite aux États-Unis, en France, en Autriche, au Danemark, à Madagascar, dans les Indes orientales, en Suède, au Siam, au Pérou... L'éparpillement géographique de cette œuvre qui, pour une bonne part, est documentaire et témoigne de l'inlassable curiosité de son auteur rend difficile, voire impossible, d'en avoir une vue synthétique. Comme d'autre part le grand seigneur qu'était Fejos dédaigna toujours de soigner sa publicité personnelle ou de se créer un personnage à l'image d'un Stroheim ou d'un Sternberg, on arrive à s'expliquer que ses films ne soient pas mieux connus. Avec la guerre, Fejos préféra se détourner du cinéma et se consacrer à l'anthropologie, discipline où il acquit rapidement une solide réputation de savant.

Dans le cinéma de Fejos, dont la modernité frappe le spectateur d'aujourd'hui, la sensibilité domine, une sensibilité exempte de mélodrame, non truquée, aristocratique et rare, et toujours infiniment respectueuse des personnages décrits et du public. Que ce soit dans une comédie avec séquences musicales, Gardez le sourire (Sonnestrohl, 1933), dans l'adaptation d'un conte naïf de Hongrie (Marie, légende hongroise, 1932) ou dans la présentation semi-documentaire de la vie d'un couple d'indigènes au Siam, dans Une poignée de riz (En Handfull Ris, 1938), Fejos s'emploie à montrer le plus souvent des êtres vulnérables et sans malice, en prise directe avec la vie, qui pourtant ne les épargne pas ; mais leur grande capacité d'amour les sauvera, et c'est en général la leçon de ces films, poignants et lumineux.

Dans sa façon de montrer avec une attention minutieuse les difficultés quotidiennes rencontrées, aux quatre coins de l'univers, par des êtres modestes et nullement exceptionnels, Fejos peut être considéré comme un ancêtre du néo-réalisme. Mais il s'agit alors d'un néo-réalisme pur de toute scorie naturaliste et soucieux, avant tout, de souligner avec un lyrisme discret la dignité et l'humanité profonde des personnages qu'observe l'œil, pour une fois véridique, de la caméra.

— Jacques LOURCELLES

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