CHOMBART DE LAUWE PAUL HENRY (1913-1998)

Pionnier des recherches contemporaines sur la vie familiale et le monde urbain, Paul Henry Chombart de Lauwe laisse une œuvre aussi considérable qu'originale, dont la place dans l'histoire des sciences sociales reste insuffisamment connue. Que cet humaniste, au plein sens du terme, soit resté sa vie durant quelque peu marginal au regard du système universitaire, ne rend pas seulement compte de ce relatif anonymat ; il est aussi dû au caractère inclassable des contributions résolument interdisciplinaires d'un auteur dont les engagements ne furent pas déterminés par les idéologies dominantes.

Deux découvertes faites au seuil des années 1930 vont décider des orientations profondes de l'étudiant, qui a obtenu tôt son brevet d'aviation et s'est simultanément inscrit à l'École des beaux-arts, où il se passionne pour la sculpture, et à la Sorbonne, qu'il fréquente moins assidûment. Il découvre d'abord les Équipes sociales créées par Robert Garric en 1922 : ce qui explique son constant intérêt pour l'éducation populaire et le mouvement ouvrier. Il découvre ensuite, au musée de l'Homme et à l'Institut d'ethnologie, une discipline exotique que Marcel Mauss marque alors de son empreinte. Cette seconde découverte est à l'origine, en 1936, d'une mission en Afrique facilitée par Marcel Griaule : l'exploration aérienne du Cameroun nord.

Dans cet itinéraire, le passage à Uriage entre 1940 et 1942 revêt la même signification que la participation à la Mission de Paris au lendemain de la guerre. Aux expériences pédagogiques inspirées par une volonté de reconstruction s'ajoutait, dans l'optique de l'École des cadres fondée par Pierre Dunoyer de Segonzac, l'exploration sociale et régionale. Le malentendu dissipé sur ce qu'il croyait être la politique de double jeu conduite par le gouvernement de Vichy, Chombart de Lauwe ralliait Alger en novembre 1942, puis rejoignait un groupe de chasse de la Royal Air Force. L'intérêt témoigné à la démarche des prêtres ouvriers après la Libération s'inscrit dans une perspective identique : œuvrer en faveur des plus démunis en connaissant mieux les besoins et les aspirations des classes populaires. Une morale d'action, indissociable de l'influence exercée sur lui par Teilhard de Chardin, aura ainsi guidé toutes ses recherches.

Celles-ci intéressent à la fois l'ethnologie, la sociologie, la psychosociologie, l'anthropologie, la géographie humaine et l'urbanisme. La liste complète des publications auxquelles elles ont donné lieu a été dressée par Luce Kellermann (L'Harmattan, 1994). Des ensembles thématiques s'en dégagent : la découverte aérienne du monde, les conditions de vie des familles ouvrières, l'image de la femme dans la société contemporaine, l'étude des aspirations et des transformations sociales, la dynamique culturelle, les problèmes du Tiers Monde enfin. Deux maîtres livres – La Vie quotidienne des familles ouvrières (1956, rééd. 1979) et Pour une sociologie des aspirations (1969, rééd. 1971) – encadrent d'importantes recherches collectives : Famille et habitation (2 vol., 1960, 3^e éd. 1975), La Femme dans la société. Son image dans différents milieux sociaux en France (1963) et Images de la femme dans la société. Enquête internationale (1964), auxquelles Marie-José Chombart de Lauwe a été étroitement associée.

Le cadre institutionnel de ces travaux où se repère la trace d'enseignements divers – de Georges Friedmann, de Gabriel Le Bras, des sociologues de l'École de Chicago – et d'amitiés solides – celle de Robert Auzelle pour l'urbanisme –, doit être rappelé : le musée de l'Homme, où Chombart de Lauwe met en place le service de photographies aériennes et lance le Groupe d'ethnologie sociale transformé en Centre de recherche[...]