KLEE PAUL (1879-1940)
Article modifié le
Musique, écriture, peinture ? Pour Klee, l'interrogation domine les années d'apprentissage et détermine, jusqu'au terme, sa pratique créatrice. S'il renonce rapidement à la carrière d'instrumentiste, il continue à s'investir dans la pensée et la pratique musicales (chant, violon). Ses écrits couvrent de multiples domaines : introspection et poésie jusqu'à la Première Guerre mondiale ; théorie et didactique durant les années du Bauhaus. Quant à la peinture, choisie en fin de compte, elle conjuguera continuellement ses modalités propres avec celles des deux autres activités.
Inclassable, ce « peintre-poète » – comme il se définit lui-même – figure aussi parmi les plus féconds des créateurs : son catalogue compte plus de neuf mille titres ; sa réflexion sur l'art évoque, par son ampleur, celle de Léonard de Vinci. Ainsi, Klee reste l'une des personnalités déterminantes du xxe siècle, référence irrécusable de la pensée esthétique actuelle.
L'exploration du « moi »
La genèse d'une vocation
Klee naît à Münchenbuchsee, près de Berne. Pour sa formation, l'apprenti peintre choisit Munich, l'une des capitales artistiques de l'Europe et centre actif du Jugendstil. Dès 1900, il abandonne l'Académie des beaux-arts et les cours de Franz von Stuck, peintre symboliste et animateur de la Sécession. Après le médiocre succès de ses gravures satiriques – les Inventions (1903-1905) –, il s'isole dans une réflexion ontologique et plastique relatée dans un Journal. Au paroxysme de cette phase analytique, les sujets relèvent souvent d'une fantasmatique débridée ou grinçante, comme les illustrations pour le Candide de Voltaire (1912). Cette période de maturation difficile, ponctuée de doutes et de crises, dure jusqu'à la veille de la guerre. Des voyages en constituent les repères révélateurs. D'octobre 1901 à mai 1902, Klee parcourt l'Italie, exprimant souvent sa réserve à l'égard des grands modèles classiques – ainsi, son « oui et non à l'égard de Michel-Ange » (Tagebücher, 406). Il visite Paris en 1905, puis en 1912. Il se familiarise alors – sans compromis – avec le cubisme, rencontre Robert Delaunay dont il traduit l'essai sur la lumière. Cézanne, pour un temps, fournit un modèle efficace : « Il est le maître à penser par excellence, bien plus exemplaire que Van Gogh » (Tagebücher, 857). Des aquarelles (Dans la carrière, 1913, ou Le Niesen, 1915) traduisent cette affinité.
Après une première exposition rétrospective tenue à Berne en 1910, Klee échappe peu à peu à l'isolement et à l'insuccès. Il obtient le soutien d'Alfred Kubin, rencontre Vassily Kandinsky, August Macke et Franz Marc, adhère au Blaue Reiter. En 1914, le voyage en Tunisie, décisif, coïncide avec la réintégration plénière du chromatisme : « La couleur et moi sommes un. Je suis peintre » (Tagebücher, 926).
Le Bauhaus
L'exigence théorique s'affirme au cours de la guerre. Dans son Journal, puis dans le Credo créateur (Berlin, 1920), Klee enregistre quelques-uns de ses aphorismes qui concernent la genèse de l'œuvre, l'abstraction, la polyphonie picturale. En octobre 1920, Walter Gropius l'invite à enseigner au Bauhaus, récemment fondé à Weimar. L'incidence des activités didactiques apparaît manifeste dans les séries organisées autour d'un schème plastique clairement énoncé. Cette investigation aboutit encore à la conférence « Sur l'art moderne » prononcée à Iéna en 1924 et aux textes publiés par le Bauhaus : Voies d'étude de la nature (1923), Livre d'esquisses pédagogiques (1925), Recherches exactes dans le domaine de l'art (1928).
Durant ces années capitales, l'activité créatrice de Klee conserve son entière autonomie, tant au sein du Bauhaus qu'à l'égard des autres tendances de l'avant-garde européenne. Toutefois, en 1925, il participe à l'exposition parisienne du groupe Peinture surréaliste, marque d'une convergence déjà relevée, l'année précédente, par le manifeste d'André Breton. Il suit le Bauhaus à Dessau, mais, en 1931, il rompt de lui-même avec l'institution qui connaît des tensions esthétiques et idéologiques croissantes. Il devient alors professeur à l'Académie des beaux-arts de Düsseldorf.
Les ultimes années
Le répit sera de courte durée. En 1933, la persécution nazie contraint Klee à quitter définitivement l'Allemagne. En 1937, dix-sept de ses œuvres figureront dans l'exposition de « l'art dégénéré » à Berlin.
La notoriété de Klee ne fait que croître : Picasso, puis Braque lui rendent visite ; Berne (où il réside désormais) en 1935, Zurich en 1940 lui consacrent d'importantes rétrospectives. Sa production picturale, malgré une interruption de deux années causée par la maladie, se poursuit sur un rythme accéléré – 1 253 œuvres en 1939. Des toiles de grand format (Insula dulcamara) apparaissent en 1938, avant que le dessin ne reprenne sa prépondérance pour des séries comme celle des Anges ou des Eidola. Les dernières œuvres, aussi dramatiques que Clé brisée (1938) et surtout Mort et Feu (1940), conservent jusqu'au terme – Klee s'éteint le 29 juin 1940 – la part de l'humour et de la poésie.
Accédez à l'intégralité de nos articles
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Claude FRONTISI : professeur émérite des Universités, président du centre de recherche Pierre-Francastel
Classification
Médias
Autres références
-
PAUL KLEE. L'IRONIE À L'OEUVRE (exposition)
- Écrit par Claude FRONTISI
- 1 143 mots
- 1 média
Enfin ! Telle pouvait être la réaction à l’annonce d’une exposition monographique d’envergure consacrée à Paul Klee, attendue depuis bien longtemps à Paris. Présentée par le Centre Georges-Pompidou du 6 avril au 1er août 2016, Paul Klee. L’ironie à l’œuvre se targuait d’ouvrir...
-
ABSTRAIT ART
- Écrit par Denys RIOUT
- 6 718 mots
- 2 médias
... de goût. Ces deux attitudes irréconciliables restent tributaires de la réponse donnée à une question proprement philosophique : qu'est-ce que l'art ; Paul Klee, pour sa part, avait tranché : « L'art ne reproduit pas le visible ; il rend visible. Et le domaine graphique, de par sa nature même, pousse... -
BAUHAUS
- Écrit par Serge LEMOINE
- 4 463 mots
- 6 médias
Des maîtres aussi indépendants et personnels que Kandinsky etKlee exercèrent sans doute une influence profonde au Bauhaus, mais celui-ci ne fut pas sans agir à son tour sur leur œuvre, qui montre bien une évolution semblable. Le milieu dans lequel ils vivaient – Klee et Kandinsky, qui cherchaient... -
BERNE MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE
- Écrit par Daniel HARTMANN
- 912 mots
- 2 médias
-
ESPACE, architecture et esthétique
- Écrit par Françoise CHOAY , Encyclopædia Universalis et Jean GUIRAUD
- 12 349 mots
- 4 médias
...petites flèches tout au long du parcours restituent l'itinéraire ; çà et là sont placées de rares ponctuations et le puzzle apparaît fait de personnages. Paul Klee nomme ce dessin La Famille en promenade. Où il n'existait rien que l'étendue inerte de la page, le geste de l'artiste a posé, dans la relation... - Afficher les 10 références
Voir aussi