MEURISSE PAUL (1912-1979)
C'est sans doute Jean Anouilh qui, malgré l'assez irrémédiable brouille qui les séparait, à une heure où les acteurs instinctifs tendaient à faire oublier les acteurs autrement plus cérébraux et aristocratiques d'avant et d'après guerre, tels Jouvet ou Stroheim, proposa la meilleure épitaphe de Paul Meurisse : « un des derniers comédiens à posséder encore du style ».
De style, certes, Paul Meurisse n'en manquait pas. Aussi noble et élégant à la scène qu'à la ville, aussi à l'aise dans les textes d'autrui que dans ses propres improvisations, il s'était peu à peu forgé un personnage qu'une diction impeccable mais particulière (comme Jouvet naguère) et un cynisme tout naturel, fait de formules cinglantes et acides, choisies et débitées avec gourmandise, contribuaient à façonner. Il avait pour cela une voix tour à tour caressante et sèche, une tenue irréprochable, dandyste et corsetée, où transparaissait l'influence de son modèle Eric von Stroheim, un faciès, enfin, impassible et bridé qui évoquait on ne sait quoi d'asiatique. Meurisse lui-même le reconnaissait : « Je ne suis pas un type à qui on tape sur le ventre. »
Né le 21 décembre 1912 à Dunkerque d'un père directeur à la Société générale, c'est à Aix-en-Provence qu'il fait ses études de droit et qu'il débute comme clerc de notaire. Mais il rêve d'un autre destin. Se disputant avec son patron qui lui interdisait d'apporter un aquarium de poissons rouges à l'étude, il claque la porte et gagne sa liberté. Ses premiers pas, évidemment, sont incertains et précaires. Lauréat d'un radio-crochet, il monte à Paris en 1936.Là, bellâtre et gominé, il joue les boys dans diverses revues (au Trianon notamment), puis présente un tour de chant avec les allures de Buster Keaton. Le hasard faisant toujours bien les choses, Édith Piaf le remarque et le présente à Jean Cocteau, dont il créera peu après Le Bel Indifférent. Rapidement démobilisé, il fait ses premiers essais devant les caméras. Ce sont Ne bougez plus de Pierre Caron, Montmartre sur Seine de Georges Lacombe et, en 1946, Macadam de Jacques Feyder, qui l'installe dans les rôles de « durs ». Dès lors, sa carrière cinématographique est lancée.
Des quelque quatre-vingts films qu'il tourna, au gré de rôles de composition sans cesse renouvelés (des professeurs, des ecclésiastiques, des gangsters, des policiers et même Napoléon III dans La Castiglione de Georges Combret), beaucoup ont sombré ou sombreront dans l'oubli. Ainsi L'Inspecteur Sergil de Jacques Daroy, Un monsieur bien sous tous rapports d'André Hunebelle ou, plus près de nous, Les Voraces de Sergio Gobbi, L'Éducation amoureuse de Valentin de Jean Lhote et surtout l'affligeante série des Monocle de Georges Lautner où Meurisse alla bel et bien se fourvoyer et se sous-employer. Cela ne l'empêcha pas de rencontrer parfois des réalisateurs d'envergure ou même de génie qui lui firent donner la vraie mesure de son grand talent. On retiendra donc heureusement Les Diaboliques et La Vérité de H.-G. Clouzot, Marie-Octobre de Julien Duvivier, La Tête contre les murs de Georges Franju, Le Deuxième Souffle et L'Armée des ombres de Jean-Pierre Melville et, enfin, Le Déjeuner sur l'herbe de Jean Renoir.
Même chose au théâtre où un goût dandyste pour les croisières et les belles choses fit toujours davantage rechercher à Meurisse les auteurs à succès et les rémunérations avantageuses au détriment d'un engagement artistique plus significatif et plus exigeant. Et pourtant, ses débuts furent nobles et glorieux. Ce fut l'événement du Jules César de Shakespeare monté par Renoir au festival d'Arles en 1955 ; puis, du même Shakespeare, Coriolan à la Comédie-Française (où Meurisse fut pensionnaire de 1956[...]
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Écrit par
- Philippe DULAC : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure
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