NEWMAN PAUL (1925-2008)
Créer un personnage
Depuis Exodus, d'Otto Preminger, en 1960, Paul Newman n'a jamais caché ses choix politiques libéraux, en faveur des Noirs américains, contre la guerre du Vietnam, contre Nixon, Reagan ou G. W Bush... Pourtant, « les personnages qui sont les plus éloignés de moi, dit-il, sont ceux que je réussis le mieux ». Il n'a rien d'un acteur instinctif et travaille minutieusement ses rôles. Inquiet et conscient de ses limites, dès qu'il en a la possibilité, il consacre plusieurs semaines de répétition à se préparer. Une préparation essentiellement physique : mouvements du corps, de la tête, des mains, démarche... « Dès que vous contrôlez les caractéristiques physiques d'un personnage, sa dimension intérieure s'impose d'elle-même. » À la différence de Montgomry Clift ou de Henry Fonda, il ne module pas à chaque rôle un personnage unique, lui-même. Face au personnage d'un nouveau script, il « regarde si c'est quelqu'un [qu'il n'a] jamais joué », s'efforce de lui donner une touche d'originalité. C'est faute de telles propositions, dit-il, qu'il est passé à la mise en scène.
Ce souci l'a poussé parfois à des virages brutaux, comme quand, en 1958, avec La Brune brûlante (Rally Round the Flags, Boys !), de Leo McCarey, Newman explore à travers un seul personnage les divers aspects de la comédie américaine, mêlant l'excès et le loufoque de la screwbal comedy à la finesse et la retenue de la sophisticated comedy. On trouve le même écart dans la filmographie de l'acteur. L'excès, l'extériorisation sans limites des affects, issus de l'Actors Studio, font peu à peu place à l'understatement, un jeu intériorisé où une crispation de la mâchoire, un léger mouvement des yeux, une position du corps en disent plus que toute gesticulation. Même au milieu des flammes de La Tour infernale (1974), la maîtrise de soi devient la signature de Newman. De film en film, l'acteur peaufine ce jeu subtil dans le temps même où il gère avec une intelligence rare son personnage vieillissant, dans La Couleur de l'argent (Martin Scorsese, 1986) ou Les Sentiers de la perdition (Sam Mendes, 2003)...
Dans les années 1970, avec deux westerns aussi truculents que parodiques, Butch Cassidy et le Kid, de George Roy Hill (1968), qui connaît un énorme succès, et Juge et hors-la-loi, de John Huston (1972), Paul Newman poursuit sa description de « la perte de l'innocence de l'Amérique » (Huston), avant de dessiner, sous la direction de Robert Altman, le portrait en histrion cynique du plus universel des héros de l'Ouest (Buffalo Bill et les Indiens, 1976).
Sur le plan de la forme, les cinq réalisations de Paul Newman participent de son goût pour un certain classicisme, avec des personnages toujours subtils et dénués de toute mièvrerie. Joanne Woodward donne vie à trois portraits de femmes fragiles, au bord de la crise névrotique : Rachel, Rachel (1968), De l'influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites (1972), qui vaut à l'actrice un prix d'interprétation à Cannes, et La Ménagerie de verre, d'après Tenessee Wiliams (1987), avec Karen Allen. Le passé qui obsède ces trois femmes est encore fortement présent dans Le Clan des irréductibles (Sometimes a Great Notion, 1971), avec Henry Fonda dans le rôle du père, un personnage pivot de L'Affrontement (Harry and Son, 1983), que Newman interprète cette fois lui-même.
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
Classification
Média