NIZAN PAUL (1905-1940)
Le romancier
« Hanté par la mission de l'artiste, qui est de porter témoignage et de prendre conscience d'un moment de l'histoire », Nizan utilise le roman pour y poser des problèmes philosophiques essentiels.
Avec Antoine Bloyé (1933), il cherche à montrer que, dans l'univers capitaliste, les êtres et les choses ignorent l'homme et l'écrasent. Si tous les thèmes de la littérature de l'oppression des lendemains de la Seconde Guerre mondiale sont déjà en germe dans cette œuvre, sa forme désuète, d'inspiration naturaliste, en rend aujourd'hui la lecture un peu difficile. Le Cheval de Troie (1935), sorte de documentaire romancé, inspiré par la technique journalistique des écrivains américains, est plus proche de nous par sa facture. Nizan y lie étroitement le problème de la mort à celui des valeurs révolutionnaires : l'homme échappe au néant uniquement si le destin de l'humanité est une Histoire. La Conspiration (1938), d'inspiration très stendhalienne, tête de pont d'un nouvel itinéraire que la mort va interrompre, vaut à Nizan le prix Interallié et la célébrité. Ici, la vision de l'auteur n'a plus le caractère univoque d'Antoine Bloyé et du Cheval de Troie ; l'œuvre ne se déchiffre plus comme un miroir. Toujours entreprise de dénonciation et de démystification, elle témoigne également d'un penchant indubitable pour le plaisir d'écrire. Si Nizan, à l'image de Marx, ne veut penser qu'à combattre – « un combattant est toujours délivré » –, il ne refuse plus d'être séduit par certains aspects de la vie. Ses contemporains sont sensibles à ce nouvel aspect de son œuvre et, à l'époque où paraît La Nausée, donnent leur suffrage à La Conspiration.
Une mort tragique va mettre fin à cet « humanisme de joie » vers lequel tendaient tous ses efforts ; son œuvre entrera dans l'oubli. Vingt ans plus tard, une étrange existence posthume l'attend. Cet homme du « moi », qui a voulu être l'homme du « nous », ce porte-parole tourmenté des années 1930 dont les cris « écrits » et la vie manifestaient une volonté inébranlable de témoigner et d'agir, fut redécouvert par les jeunes des années 1960. Déchirés, eux aussi, entre deux moments d'une culture, cherchant, eux aussi, un « autre emploi de la vie », ils se sont tournés vers cet être éternellement jeune, éternellement déçu et intransigeant. L'auteur de cet exorde ex abrupto : « J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie » leur a paru seul capable de comprendre leurs dénonciations, leur révolte, leur projet d'homme total.
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Écrit par
- Jacqueline LEINER : docteur ès lettres, professeur au département de langues romanes, université de Washington, Seattle
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