OUTERBRIDGE PAUL (1896-1958)

Paul Outerbridge est un photographe américain qui a travaillé dans les domaines de la mode, de la publicité et de l'illustration. Pionnier de la photographie en couleurs, ce maître de la photographie en studio est l'auteur de nus qui firent scandale à son époque. Fortement influencée par le surréalisme, son œuvre associe la sophistication des compositions à un érotisme fétichiste. Portées par des tirages en couleurs au réalisme stupéfiant, ses images puisent leur source d'inspiration dans la Grèce antique, l'école du Bauhaus ou le thème de Narcisse.

Après des études d'anatomie, de dessin et d'esthétique à l'Art Students League à New York en 1915, Paul Outerbridge s'initie à la photographie durant son service militaire. Élève dans l'atelier de Clarence H. White à l'université Colombia, il commence, en 1920, à créer des natures mortes à partir d'objets du quotidien. En 1922, il poursuit ses études par la sculpture auprès d'Alexander Archipenko. Sa première photo connue, Ide Colar (1922), représente un col de chemise posé sur un échiquier. Purisme de la composition et incongruité de la situation, cette photographie illustrera une rencontre possible entre l'avant-garde et la publicité.

En 1925, Paul Outerbridge s'installe à Paris, où il fait la connaissance de Man Ray, Berenice Abbott et Marcel Duchamp. L'élégance de ses compositions est remarquée par Vogue qui lui propose des commandes photographiques et des maquettes. Mais le studio graphique qu'il a créé avec un associé peine à être rentable. En 1927, il rejoint Berlin, puis Londres, avant de regagner New York en 1929. Féru de technique, il maîtrise les tirages argentiques et au platine. Mais c'est en pratiquant le tirage en couleurs Carbro que Paul Outerbridge va produire ses plus belles épreuves. Découlant des travaux de Ducos du Hauron et de Charles Cros, le procédé Carbro, connu depuis 1905, consiste à déposer successivement trois couches colorées sur un papier. Bien que cette technique soit très délicate à manipuler, Paul Outerbridge l'utilisera avec brio pour ses commandes professionnelles comme pour des nus et des natures mortes.

Avec cette technique, les compositions d'objets qu'il réalise deviennent moins abstraites qu'à ses débuts. Dans Images de Deauville (environ 1936), il utilise les nuances délicates du tirage Carbro pour restituer les objets dans leur implacable matérialité. Cône peint en jaune, photo d'un voilier dans un cadre, boule d'acier chromée réfléchissant à 360⁰, dé jeté sur la table, coquillage – tous ces objets cohabitent dans un désordre savamment orchestré. La dimension cérébrale de l'image réside dans le fait que le spectateur est tenté de trouver une logique à cette juxtaposition hétéroclite. Dans maintes compositions, le photographe utilisera également le miroir ou le masque comme métaphores de notre désir de voir et de nos frustrations.

Avec le nu, Paul Outerbridge se confronte à un genre classique que la photographie en couleurs peut transformer radicalement. Dans Femme avec griffes (1937), le réalisme cru de la peau vient contrarier la sophistication de la mise en scène. La modernité de ces nus tient précisément à leur matière photographique qui rend les corps attrayants aussi bien pour la vue, que pour le toucher. Femme avec serpent (1938) représente une jeune femme portant un serpent luisant enroulé autour de ses bras devant un branchage. Cette mise en scène au goût artificiel renvoie plus à un rêve érotique qu'à l'évocation lyrique du jardin d'Eden. Autre exemple : Nu avec masque et chapeau (1936) représente une femme nue de dos, hautaine et joueuse, affublée d'un seul bas. Insidieusement, les corps dénudés d'Outerbridge s'installent dans un scénario érotique dont les enjeux sont la convoitise, l'exhibitionnisme[...]